Le fantabuleux blog de Kevo42
Accueil du site > Films > Actualités cinématographiques > The Grand Budapest Hotel - Wes Anderson

The Grand Budapest Hotel - Wes Anderson

mercredi 26 mars 2014, par Kevo42

The Grand Budapest Hotel est ce qui s’approche le plus d’un succès public pour Wes Anderson , propulsé par une affiche recouverte de nom de stars. Il représente une certaine idée d’un bon film : des mouvements de caméras intéressants, une belle histoire, et malgré tout on ne s’ennuie pas. Pourtant, comme souvent avec Wes Anderson, le film est accusé d’être un bel emballage creux, à l’image de ces pâtisseries servant à cacher les outils de l’évasion. Donc, après avoir vu le film deux fois, je voulais mettre par écrit toutes les réflexions qu’à fait naître le film en moi, parce que je pense au contraire qu’il s’agit d’un des films les plus denses de l’homme aux valises Louis Vuitton.

Par contre, attention, qui dit analyse, dit spoiler à gogo. Un mois après la sortie du film, je pense de toute façon que ceux qui voulaient voir le film l’ont déjà fait, mais je préfère prévenir que guérir. Il s’agit plus d’un article à lire pour donner envie de revoir le film que pour une première vision.

Entre Spirou et Stefan Zweig

Depuis The fantastic Mr Fox, Wes Anderson cherche à rendre ses histoires plus fluides. Ses films récents ne sont pas beaucoup plus courts, ni beaucoup moins complexes. Pourtant, ils semblent plus simples à appréhender, et par là, plus unidimensionnels.

Si on prend un film comme le Grand Budapest Hotel, on est toutefois face à un paradoxe. La situation narrative est d’une grande complexité, les actions nombreuses, les personnages et les lieux démultipliés, et pourtant tout paraît limpide, et le mot fin arrive avant même que l’on y ait songé.

C’est que le travail d’Anderson sur le scénario est devenu aussi précis que sa mise en scène, et chaque plan est utile, passe une information.

Ses premiers films semblaient foisonnants partaient dans beaucoup de direction. Ses derniers films nous emmènent d’un point A à un point B, sûrs d’eux mêmes.

Le Grand Budapest Hotel est peut-être le premier vrai film d’aventure de Wes Anderson. On y va de lieu en lieu, suivant un liftier intrépide et prêt à toutes les adresses, tel Spirou (personnage d’ailleurs né à peu près à l’époque où se passe le film). Il y a un meurtre, un tableau « volé », un méchant très méchant et prêt à toutes les horreurs, des courses poursuites folles (toute la séquence dans la station de ski), une évasion de prison et même des fusillades !

On remarquera à ce sujet que le cinéma d’Anderson est beaucoup plus riche en actions cruelles que l’on le penserait : souvenez vous des pirates de la Vie aquatique ou du rat crevé du Fantastic Mr. Fox, déjà joué par Willem Dafoe.

Cette action est rendue étrange par deux points :

1 – la façon de la filmer est complètement en décalage avec ce qui se fait actuellement. On ne trouvera jamais de shaky cam chez Wes Anderson. De même, les actions des personnages ne visent absolument pas le réalisme : l’évasion demande une synchronisation et une agilité dont on penserait les personnages incapables, la poursuite en ski est improbable dans son défilement d’épreuves olympiques. Ce qui s’en rapprocherait le plus serait un dessin animé type Looney Tunes.

2 – l’environnement : non pas un environnement froid et réaliste, mais un grand hôtel de l’entre deux guerres, refuge de l’élégance et du luxe, rempli de gâteaux précieux, de couleurs pastels, et de domestiques. Le film se réclame dans son générique final des romans de Stefan Zweig, et c’est un vrai bonheur de voir les mondes s’opposer : toutes ces courses, toutes ces actions insolites dans un monde plus que figé dans son luxe rose bonbon.

Mais cette virtuosité de l’action, et cette accumulation de péripéties ne tournent pas à vide, car le film est plus riche en signification qu’il n’y paraît.

Témoigner pour garder une époque vivante

L’une des clés du film nous est donnée par Monsieur Zero Moustapha vers la fin du film : l’époque de Monsieur Gustave H. avait disparu il y a longtemps, peut-être même avant lui, mais il a su garder l’illusion de sa survie.

Tout le film est basé sur cette question du temps, et du témoignage. Dans sa structure déjà , très complexe : une femme lit de nos jours le roman d’un écrivain mort et honoré de tous (on en voit la statue). L’introduction du roman, nous montre cet écrivain nous raconter une histoire qu’il a entendu venant de Monsieur Moustapha, histoire dont il a autant été le témoin que l’acteur à l’époque où il s’appelait Zero, et dont une partie nous est dissimulée (pour Zero, son histoire avec Agatha est centrale, mais pas pour le spectateur du film).

Ce dispositif fonctionne à la fois comme préservation d’une histoire (tous les personnages de l’histoire sont morts au moment où nous les voyons, mais nous vivons leur histoire comme si elle était au présent) et témoignage de la dégradation : le grand hôtel nous est présenté dans sa gloire et sa décrépitude, les personnages vieillissent.

Cette thématique de la lutte entre sauvegarde du passé et décrépitude est au centre du film. Elle se joue à la fois sur l’essentiel et le superflu, sachant que, pour Wes Anderson, l’essentiel se manifeste dans le superflu.

En gros, Gustave H. est un personnage du passé, conscient de l’être : il ne vit que pour la poésie du XIXème, qui barbe tout le monde, et il le voit bien. Il couche avec des vieilles femmes, vestiges d’un temps qu’il n’a lui-même pas forcément connu. Il se parfume trop, comme un rempart à la vulgarité du monde (cf. sa réaction après l’évasion) . Surtout, les valeurs qu’il défend sont en passe de devenir obsolète : être au service de l’autre, protéger l’honneur de ceux qui sont en danger.

De sorte qu’il y a un double héritage : l’héritage du sang, qui échoue (le fils de la famille Desgoffe und Taxi détruit son héritage dans tous les sens du terme), et l’héritage culturel qui ne réussit qu’à moitié (Agatha et Zero apprennent la poésie et les valeurs de Monsieur Gustave, mais n’auront pas d’héritiers, et, devenu Monsieur Moustapha, Zero laissera l’hôtel se dégrader, incapable de former à son tour un bon concierge).

Pour Wes Anderson, il y a un devoir de beauté, qui s’oppose à la barbarie d’un monde qui se désenchante de plus en plus. Mais cette lutte est triste : à la fin Monsieur Moustapha est un fantôme qui a sacrifié sa fortune pour honorer ce pour quoi Monsieur Gustave est mort, alors même que le monde extérieur a changé si vite, que cette volonté est vaine : le pays dont il est citoyen n’a plus rien à voir avec celui de sa jeunesse, et l’hôtel a perdu avec le temps sa valeur : occupé par l’équivalent des nazis, puis lieu perdu dans un régime communiste.

Un film qui a la classe (dominante et dominée)

Pour autant, The Grand Budapest Hotel, n’est pas un film réactionnaire, un film du c’était mieux avant.

Wes Anderson garde toujours une certaine distance envers ses personnages, notamment en montrant la cruauté des rapports sociaux qui les régissent. En effet, aussi héroïques que soient les personnages, capables de prouesses extraordinaires et appartenant à des sociétés secrètes au code d’honneur complexe, ils n’en restent pas moins des domestiques. Monsieur Gustave peut bien donner du plaisir aux vieilles femmes incertaines, devancer tous les désirs, il n’en reste pas moins un homme seul qui dort le soir dans une chambre de 9 m². Même si, dans les faits, il est l’âme de l’hôtel, qui dirige l’équipe, il n’en retire aucune récompense. Le symbole le plus évident de cette aliénation est bien sûr le fait que les personnages de classe inférieur soient privés de noms de famille, le comble étant atteint par le narrateur, Zero, dont le prénom est la marque de sa privation absolue : apatride, sans nom, sans prénom, tout en bas de l’échelle. Le sacrifice évoqué de sa fortune est une sorte de revanche inachevée : s’il a, avec le temps, récupéré ce qui lui manquait, il ne l’a eu que sous une forme dégradée, et continue de vivre dans la chambre du concierge.

Même les personnages riches et puissants sont dépeints sous l’angle de la dégradation de leur pouvoir. Madame Desgoffe und Taxi a constamment peur de sa future mort, à raison, ses enfants complotant pour une raison qui paraît assez vaine, la vieille dame semblant déjà aux portes de la mort. Ceux-ci, pour garder leur pouvoir, ne sont capables que de se rallier au nouveau pouvoir, inspiré des nazis, qui est justement leur négation : inélégant, dépourvu de valeurs. La figure de l’autorité, incarnée par Edward Norton, y est aussi inefficace que dans Moonrise Kingdom : partagé entre le monde du passé, et le monde qui vient, il est constamment dans une indécision ridicule.

Enfin, le tableau de la discorde, le garçon à la pomme est assez symbolique de l’ironie du film. Il s’agit à la fois d’un chef d’œuvre supposé, et à la fois un objet de moquerie : Gustave H. ne le trouve beau que par sa capacité à représenter la classe dominante. Adrian Brody ne se rend compte de sa disparition qu’en voyant qu’il a été remplacé par un tableau de Schiele, représentant de cet art « dégénéré » que les nazis détestaient tant. Sa valeur artistique n’a aucune réelle importance : il n’existe que dans son rôle de marqueur de richesse et de pouvoir. Le voir passer de main en main, pour finalement finir accroché de travers dans la loge d’un concierge débraillé montre à la fois la fascination et la distance de Wes Anderson avec le monde qu’il dépeint.

Et au final, c’est bien ?

Alors que le film est déjà sorti depuis un mois, il ne m’a pas semblé pertinent de faire une critique classique de ce film. Mais vous pouvez imaginer après cette lecture, que oui, j’ai trouvé ça bien. Il me semble qu’il y a quelque chose de fascinant dans le cinéma de Wes Anderson qui à la fois est très répétitif (les mêmes plans de caméra, l’esthétique, les thématiques, la musique de Desplat, encore une fois superbe du début à la fin) et à la fois constamment renouvelé.

Mais j’espère vous avoir convaincu de la richesse thématique de ce Grand Budapest Hotel, sur lequel il y aurait encore beaucoup de choses à dire.

D’ores et déjà un des films de l’année.

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0