Le fantabuleux blog de Kevo42

Enemy - Denis Villeneuve

mardi 26 août 2014, par Kevo42

Adam Bell (Jake Gyllenhaal) est un professeur d’histoire à la faculté particulièrement fade. Il ne boit pas, il ne fume pas, ne va pas au cinéma, il corrige ses copies à l’heure, autant dire qu’il a tout son temps pour faire l’amour à sa petite amie, jouée par Mélanie Laurent, qui a la fâcheuse manie de disparaître après le coït, signe sans doute qu’il n’est vraiment pas très intéressant.

Suite aux conseils d’un collègue, il loue un film et aperçoit un figurant qui lui ressemble exactement. La quête de ce double ne sera pas sans trace sur lui ni sur le spectateur.

Le mélange parfait entre David Lynch et Derrick

Dès le pré-générique, Enemy est un film qui sent l’arnaque. Alors que Denis Villeneuve sort de deux succès critiques et publiques (Incendies, et Prisonners) , son nouvel effort est distribué par l’association VO-ST et Condor, spécialisés dans le cinéma très indépendant (type States of Grace, bon film) et le direct to DVD (genre Born 2 race ou la série de Métal Hurlant). Cela n’a rien de déshonorant en soi, mais pourquoi Pathé qui a produit le film ne l’a pas aussi distribué ? Et pourquoi le film n’a pas été distribué par SND, qui a bien vendu Prisonners ?

A la vision du film, on en comprend mieux la raison, tant le film est raté, du début à la fin. Enemy est l’exemple même du film poseur mais sans fond, un film de frime d’ « artiste », un film à énigme qui n’a rien à révéler.

Denis Villeneuve dépense une énergie folle pour créer une impression de trouble : oppression d’une architecture filmée constamment du ciel ou en contre plongée, lenteur des mouvements des personnages, décadrages, image granuleuse, visage en constante décomposition de Jake Gyllenhaal, musique orchestrale atmosphérique et mystérieuse, rythme volontairement ralenti, mais aussi des images surréalistes d’araignées censées nous préparer au plan final, qui arrivera néanmoins comme un cheveu sur la soupe.

C’est que la découverte de ce double crée une fascination totale sur le personnage joué par Jake Gyllenhaal, au point même d’en oublier toute idée d’histoire. Car dans Enemy, il ne se passe (pratiquement rien). Ce qui ferait un premier acte tout à fait correct et mystérieux, est étiré à l’infini pour constituer le film complet, celui-ci s’arrêtant quand il se passe enfin quelque chose.

Ce dernier plan si mystérieux sonne comme un appel à revisiter le film, à le revoir pour découvrir les indices cachés tout du long. Problème : la première vision est si douloureuse, d’un ennui si physique que l’on a aucune envie de se lancer à la recherche des œufs de Pâques. Car à force de vouloir rendre hommage au cinéma de David Lynch, Denis Villeneuve se retrouve plutôt à faire du Derrick : image jaune pisseuse, lenteur de chaque mouvement, même le plus anodin (allumer la lumière dans un appartement semble être une épreuve insurmontable), dialogues insipides, plan final fixe qui se substitue à une conclusion en bonne et due forme, psychologie inintéressante (il y a le prof timide, et l’acteur extraverti, et puis voilà) : tout concourt à en faire un film constitué à 99% de remplissage et à 1% de substance.

Alors oui, peut-être Adam est-il schizophrène, ou a-t-il un frère jumeau caché, ou est victime d’une invasion extraterrestre, ou peut-être a-t-il juste trouvé un sosie parfait, mais à aucun moment le film ne nous donne la moindre envie d’en savoir plus, ne nous donne envie de partager le trouble des personnages.

Et alors c’est bien ?

Enemy est un des plus mauvais films que j’aie vu cette année. Les quelques pistes qu’ils laissent traîner par ci par là, et son final en mousse, permettront aux cinéphiles conspirationnistes de se laisser aller à de belles théories, comme aux plus belles heures de Mulholland Drive, Serial Experiment : Lain ou de Inception. Cependant ces films avaient le mérite d’être généreux : que l’on comprenne leur sens caché ou pas, ils proposaient naturellement des pistes d’interprétation, des images qui s’imprimaient dans le cerveau du spectateur.

Enemy lui ne propose rien, se veut culte, mais ne donne rien. Il faut un peu plus que deux images d’araignées, un immeuble rond, et Jake Gyllenhaal qui traîne dans son appartement pour que l’on soit subjugué. Contrairement à ce qu’on peut lire, il ne s’agit pas d’un thriller, et le résumé officiel où l’on parle de vies qui s’emmêlent et d’histoires inventées par le personnage principal me semblent être une énorme extrapolation de ce qui se passe à l’écran.

Un film raté donc, que je vous invite à fuir, pauvres fous !

Jake Gyllenhaal et Denis Villeneuve, pas mécontents de leur bonne blague.

Pour ceux qui voudraient quand même mieux comprendre le sens du film, voici deux interprétations radicalement différentes qui, surprise, ne rendent pas du tout le film plus intéressant : sur le site Cinérama, sur la version américaine de Slate .

On en saura certainement plus en lisant le roman de José Saramago, mais l’adaptation étant semble-t-il assez libre (il n’y a pas d’araignée dans l’original), il n’est pas sûr que l’on en retire toutes les clés de compréhension souhaitées.

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