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Stoker - Park Chan-Wook

dimanche 5 mai 2013, par Kevo42

Bien que sortant dans une petite combinaison de salles, Stoker est un petit événement en se début d’année. Il propose un casting de vedettes (Nicole Kidman, Alice de retour du pays des merveilles, et Ozymandias avec les cheveux bruns), un réalisateur vedette (Park Chan-Wook), et même un scénariste vedette (mais pour de mauvaises raisons, puisqu’il s’agit d’un des acteurs de prison break). Toutes ces stars au service d’un film très ténébreux, leçon de mise en scène, ode à la fin de l’adolescence et à la strangulation à la ceinture.

Richard Stoker meurt dans un accident de voiture, laissant derrière lui une femme (Nicole Kidman), et une fille (Mia Wasikowska) qui vient d’avoir 18 ans. Son frère Charlie (Matthew Goode) revient d’Europe pour les funérailles, et s’installe provisoirement dans la maison. Problème : l’oncle Charlie est beau, mais des fois un peu dark.

Park Chan Wook et le piège du film américain

Park Chan-Wook est un réalisateur assez clivant, entre d’un côté ceux qui l’adorent, et de l’autre ceux qui le détestent, et ce pour les mêmes raisons : à lui tout seul il a défini ce qui fait actuellement le cinéma coréen. Images superbes, plans très complexes, violence tétanisante, choix moraux des personnages extrêmement difficiles, et qui n’apportent que du malheur. Du cinéma d’auteur, avec de vrais choix de mise en scène (impossible d’oublier la scène d’autopsie de Sympathy for Mr. Vengeance, la baston au marteau de Old Boy façon Final fight, ou les délires visuels de Je suis un cyborg), mais à l’opposé de la définition classique du « film d’auteur », qui est trop souvent « Léa Seydoux qui fait la gueule avec de la musique eighties classe en fond ». Un cinéma puissant, qui en met plein la tête, et qui nourrit, peut-être plus un cinéaste de geek que de critique. Old Boy a bien obtenu le grand prix du jury au festival de Cannes, comme s’en enorgueillit l’affiche de Stoker, mais cette année-là, le président du jury n’était autre que Quentin Tarantino.

Tout cela pour dire que son passage aux Etats-Unis pouvait être redouté pour deux raisons : soit il risquait de tomber dans l’auto-parodie, en livrant un film gore et clinquant (une interview sur feu excessif indique d’ailleurs qu’il avait été approché pour faire le remake d’Evil Dead), soit il risquait au contraire de se faire manger par les producteurs américains, et de livrer un produit tout fade.

Heureusement, Park Chan-Wook a parfaitement évité ces deux écueils, en livrant un film subtilement choquant.

Un film subtil ...

Contrairement à ce que le laisse supposer la bande-annonce, le film n’est pas vraiment un film de tueur en série. Ou alors, si, mais pas celui que l’on attendait. Il est avant tout le portrait d’une jeune fille sensible, et renfermée, qui va s’ouvrir au monde d’une façon un peu particulière au contact de cet oncle.

Il s’agit d’un truc classique quand on veut parler de l’entrée dans l’âge adulte : plutôt que de parler directement des troubles psychologiques occasionnés par cet âge, on l’aborde par un problème annexe : la natation synchronisée dans naissance des pieuvres, le suicide dans virgin suicides, etc. L’histoire marche toujours sur deux niveaux : de manière métaphorique et au premier degré.

Ici, le film rappelle un autre très grand film de jeune femme renfermée qui va s’ouvrir face à un démon au visage d’ange : Badlands de Terrence Malick. Les rapports qu’elle entretient avec l’oncle Charlie sont en effet troublants, entre séduction et crainte, et son évolution se fait par petites touches, basculant lors d’une scène de douche remarquable. Cette ressemblance se retrouve aussi dans la mise en scène, plus troublée et intérieure que ce que le Coréen a l’habitude de nous proposer.

Stoker est aussi le portrait d’une famille dysfonctionnelle, dont le centre est Nicole Kidman. Elle joue le rôle d’une fleur fanée, une femme dont on sent qu’elle vient d’une bonne famille, a reçu une bonne éducation, a fait un beau mariage, mais s’est perdue dans l’ennui de la vie quotidienne. La rivalité qu’elle entretient avec sa fille pour l’amour de Charlie est aussi grotesque que tragique : il y a de meilleures dernières aventures que de chercher à séduire un tueur psychopathe.

De manière intéressante, les rapports humains ne se manifestent pas tant par le dialogue que par l’action : ainsi, savoir qui va jouer du piano, et avec qui, va cristalliser l’état des relations dans la famille.

La mise en scène est à fleur de peau : le travail sur le son est remarquable, mettant en valeur non seulement ce qui se passe, mais aussi la façon dont les personnages le perçoivent. De même, le montage, et les cadrages, bien que très sophistiqués, sont constamment au service de l’histoire.

… mais quand ça charcle, ça charcle

Malgré tout, aussi subtil que soit le film, il n’est pas destiné à tout le monde. Là où les films de Hitchcock mettaient toujours une distance claire entre le monstre et les héros, l’intérêt de Stoker est de montrer que le monstre est à l’intérieur de nous. Enfin, plutôt de vous, parce que moi, ça va à peu près.

Au delà du contraste évident entre l’aspect innocent et évanescent de Mia Wasikowska et les horreurs qu’on voit à l’écran, le film grimpe progressivement dans la violence brute et le gore. Car Stoker est aussi un thriller extrêmement efficace, où les cadavres s’entassent jusqu’au dénouement. On retrouve le style de Park Chan-Wook, celui qui n’hésite pas à montrer des images qui font mal, avec des éclaboussures de sang qui font mal, des os qui craquent, et des trous dans le jardin qui s’accumulent.

Et alors, c’est bien ?

Ah oui, oui, c’est super bien.

D’accord, si on veut, c’est un film qui rappelle Hitchcock à cause de certaines figures du scénario, mais le film va dans une autre direction : celui de la progression du mal. Les films d’adolescentes ont toujours ce côté métaphorique : ici, devenir adulte, c’est être capable de tirer dans la tête.

Une belle morale, pour un film qui est un vrai tour de force de mise en scène, à la fois subtil et violent. Si vous vous demandez quel genre de cinéma je défends sur ce blog, allez voir ce film.

Bonus :

Une session de question - réponse plutôt intéressante avec Park Chan-Wook :

Où on apprend notamment que ses films sont intégralement storyboardés, avec l’aide du directeur artistique, en prenant en compte les lieux repérés, ce qui lui permet de tourner très vite et de manière très élaborée (Stoker est un film tourné en 40 jours, ce qui est très fort quand on voit le film). On apprend aussi qu’il a l’intention de tourner prochainement un western, puis de retourner en Corée pour un film qui, avec Je suis un cyborg et Stoker, formerait une trilogie de la fin de l’entrée dans l’âge adulte.

Et une interview avec les acteurs, où on entend très peu Mia Wasikowska, et beaucoup Nicole Kidman, qui dit beaucoup de bien de Park Chan-Wook, et défend un cinéma très divers, et qui n’hésite pas à être extrême. Malgré la chirurgie esthétique, c’est une grande dame.

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