Alors, aujourd’hui, ce n’est pas Kevo42 le cinéphile, mais Kevo42 le médiathécaire qui parle. J’ai décidé de faire un retour sur moi-même, et de voir si, par ma pratique, je ne prescrirais pas des livres politiquement douteux, qui, pour reprendre les propos de Monsieur Copé, enseignent la lutte des classes.
EXTRAIT – Jean-François Copé : "je n’ai jamais... par Europe1fr
Et il ne m’a pas fallu longtemps pour trouver un livre particulièrement choquant : le Roi DoDo de Alex Sanders, publié par Gallimard Jeunesse.
On connaît bien Alex Sanders, auteur prolifique (déjà plus de 80 œuvres d’après Wikipedia) de livres aussi respectés que Tous les cacas, Caca et pipi mais aussi Le roi PipiCaca (la littérature jeunesse est en effet assez scatologique, de sorte que l’on pourrait presque parler de théorie du « caca »).
J’espère qu’au moins Caca est un homme et Pipi une fille, mais rien n’est moins sûr
Son livre : le Roi DoDo, rempli de couleurs et au dessin enchanteur, noyé parmi les autres tomes de la série Rois et reines, aurait pu passer inaperçu.
Vous remarquerez que le roi DoDo, aussi débonnaire qu’il semble, n’en garde pas moins une épée à la main
Pourtant, de quoi parle le livre ? D’une révolution. Et pas n’importe laquelle : celle du prolétariat contre l’élite au pouvoir.
Le roi DoDo est ce qu’on peut appeler un roi fainéant. Au sens propre. Il aime essentiellement dormir, et rester dans son lit. A tel point que même pour sortir, il demande à ce que des gardes portent son lit.
Ainsi comme le faisaient remarquer les sociologues Monique et Michel Pinçon, les riches vivent dans un espace qui est à la fois proche des pauvres (dans la même ville, où dans une banlieue proche), tout en leur étant propre (villas sécurisées, quartiers réservés à la bourgeoisie duquel un homme commun se sentirait exclu s’il pouvait y accéder). L’espace du lit, lieu de loisir par excellence, est on ne peut plus proche du peuple, pourtant, seul le roi et ses invités peuvent y accéder.
Ici, la métaphore est claire : les riches, les puissants, sont sur le lit, tandis que les pauvres, les travailleurs, les portent à bout de bras.
Quelle meilleure métaphore de la lutte des classes ?
Alex Sanders va plus loin. Sur le principe de l’accumulation propre à l’univers des livres jeunesses, le roi DoDo va croiser d’autres rois, qui vont un par un le rejoindre sur le lit. Le poids de tous ses riches vivant littéralement sur le dos du peuple est de plus en plus lourd à porter, et les valets se plaignent en conséquence.
La goutte d’eau qui fait déborder le vase arrive quand le roi MiamMiam arrive. Le roi MiamMiam est un énorme porc. Le choix de cet animal est un clair discrédit de l’idée d’entrepreneur, qui dévore tout grâce à son accointance avec le pouvoir de l’Etat.
C’en est alors trop. Les valets, révoltés, laissent tout le monde en plan.
Vous remarquerez, qu’en haut à droite, l’un d’eux lève le poing, dans un geste de lutte qui n’est pas sans rappeler celui de Tommie Smith et John Carlos lors des jeux olympiques de Mexico en 1968.
De manière plus générale, il s’agit évidemment d’une révolution : le peuple, lassé d’être exploité, laisse tombé une classe dominante qui dit toujours ne devoir ses privilèges qu’à ses qualités, mais ne peut en réalité se passer de ceux qu’ils méprisent.
La conclusion est terrifiante : le roi DoDo reste seul dans la forêt. Il dort. Nature, berce-le. Les valets lui ont-ils laissé deux trous rouges au côté droit ?
Voilà, Monsieur Coppé, ce que l’on trouve dans les bacs à albums de nos enfants. Un véritable brûlot qui invite à la révolte contre l’autorité, au non-respect de la hiérarchie, en un mot, à la chienlit !
Laisserez-vous faire cela ?
Pour ma part, en attendant, j’ai peur quand je marche dans ma bibliothèque : quelle horreur se cache encore derrière tous ces albums que je croyais innocents ?