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Bastard Battle - Céline Minard - 2008

lundi 14 novembre 2011, par Kevo42

Comment botter le cul en une centaine de pages de violence médiévale ? Rien de plus facile pour Céline Minard.

Le dix décembre mil quatre cens trente sept, les paysans entendirent un galop sourd monter dans les plaines et traverser les blés depuis Riaucourt à Treix, prendre environs tout autour comme troupeau, et plus lourd que boeufs, plus rapide que nuée, plus sombre, marquant fort, un grondement de mâtin affamé puis martelé, un roulement éclatant, un orage sous couvée, sec, craquant, gonflé, résonnant sur e donjon et par tous côtés, ce jour ils l’entendirent, et ce jour-là ils crurent au démon (p.9)

Bastard Battle, la bataille du et contre le bâtard. Tout est dans le titre. Nous sommes donc en 1437, et le moine Spencer five, bon vivant et maître du bâton, nous raconte la geste violente du bâtard du roi, Aligot de Bourbon : ses pillages, ses blasphèmes, ses tortures sur les gens qui ne lui ont rien demandé. Il raconte aussi l’histoire de ceux qui se sont réunis contre lui, un peu par hasard, venant d’horizons très divers, et aux capacités complémentaires. Un récit où les morts violentes s’enchaînent sans relâche, toujours renouvelées, toujours plus gores, fortes de l’énergie qui animait Sade quand il écrivait la dernière partie des 120 journées de Sodome. Aligot le bastard ne souffrait plus ni mention de dieu ou de diable ni chant ni hostie, calice, pourpoint de prêtre ou odeur d’encens. Les églises lui servaient d’étables, les reliquaires de pétrins, il forçait les femmes sur l’autel et chiait dans les chaires ouvragées. Ni églises ni couvent ne restaient pierre sur pierre après son passage, mais tout ars au contraire et détruicts jusqu’à terre.

- Lestrac, fais-moi sortir ces rats ! fais les taire, fais les sortir ! Etouffez les torches, je veux la place toute entière !

Ils sortaient comme du bétail, poussés par les brandons mal éteints, criant pitié, à genoux, traînés, morveux pour la plupart, suintant la peur. Les hommes du bastard, eschauffés par leur veulerie, se les renvoyaient comme des balles pelote. Joués à l’épée, à la masse ou au baston, les geux rebondissaient contre les murs. Par erreur, une tête sauta en l’air - un mauvais coup de paume - ce fut comme un signal. (p. 12)

Comme vous avez pu le lire dans les deux extraits ci-dessus, le style est la première chose qui frappe dans le roman de Céline Minard. Celle-ci pastiche en effet la langue du moyen-âge tardif, reprenant à son compte non seulement la syntaxe, mais aussi le style de récit. Le français qu’elle utilise est suffisamment ancien pour faire corps avec le récit, tout en restant facilement compréhensible.

Céline Minard, une femme à qui on la fait pas

Si la langue est ancienne, le récit lui ne l’est pas. Ou plutôt il est plus proche du réel que ce qu’a pu être la littérature de l’époque. Pas de fin amour ici, pas de chevalier se battant pendant des jours jusqu’à couvrir les champs de son noble sang : juste la boucherie d’une époque où les combats à l’armure n’empêchaient pas les crânes d’être écrasés à la masse, et où les villes prises étaient pillées sans pitié.

Cette modernité du récit se voit dès le titre. De Bastard Battle à Inglorious Bastard, il n’y a qu’un pas. Comme Tarantino dans Kill Bill, Minard reprend des figures très précises de la littérature de l’époque, y adjoint des figures d’horizons très éloignés tels les films de sabre chinois (Wu-Xia Pai) et japonais (Chambara), au service d’un patchwork qui tient par la force d’une écriture admirable et d’une morale gonflée : il n’y a pas de belle guerre, que de la boucherie, et si on peut avoir un peu de bon temps, être tranquille un instant entre amis à manger de la bonne viande et boire du vin gouleyant, c’est suffisant. Le bâtard, par sa force, sa violence primaire, est l’expression dénuée d’artifices du système de seigneurie de l’époque : lui n’a pas la prétention de se cacher derrière la moindre justification d’ordre sociale ou divine, se moque des nobles. L’opposition entre cette force anarchique et amorale et des héros unis par la camaraderie dans un souci d’égalité est à mille lieux de ce qu’on peut imaginer de l’époque.

Pourtant, malgré sa fantaisie (on pense parfois à une version moyenâgeuse et gore du pacte des loups), le récit de Céline Minard semble dire beaucoup du chaos de cette époque. Comme une histoire secrète, oubliée des livres d’histoire, et pourtant essentielle.

Plus qu’un roman à prix Goncourt, Bastard Battle est un roman 100% bis. On rêverait d’un film qui en serait adapté : on imagine bien Neil Marshall s’en emparer, financé par la Trauma, qui aurait autant d’argent que pour faire le Seigneur des Anneaux.

Bref, un roman court que je vous conseille, hardi lecteur !

Pour en savoir plus, vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous, extraite du site des éditions Léo Scheer, chez qui le roman est paru en 2008. Par contre, la personne qui l’a faite n’a pas pris en compte le fait qu’une grande pièce pleine d’écho n’était pas forcément le meilleur endroit pour faire une interview, ce qui rend la compréhension difficile. Dommage parce que c’est intéressant.


Entretien avec Céline Minard à propos de Bastard... par laurelit

La page du livre sur les éditions Léo Scheer

Une autre vidéo où Céline Minard lit un passage au langage explicite


Céline Minard - ’Bastard Battle’ - Lecture par EVENE

Si après avoir lu tout cela vous avez envie d’acheter le livre, je vous invite à aller ici (j’ai pas d’actions chez bibliosurf, mais j’aime bien cette librairie en ligne).

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