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5 mots clés pour parler de : #1 Bastien Vivès

lundi 8 juillet 2013, par Kevo42

Encore une nouvelle rubrique : des articles plus thématiques pour parler d’écrivains, cinéastes, musiciens, etc.

A partir de la semaine prochaine, je change de métier. Avant j’achetais des dvds pour que les gens s’amusent, et maintenant je vais acheter des bandes dessinées pour que les gens s’instruisent. Il y a donc une chance non nulle que je parle, de temps en temps, de BD ici. Et je commence aujourd’hui avec un auteur de bande-dessinée dont on vous a certainement déjà parlé, mais que vous n’avez pas encore forcément lu.

Je veux parler de Bastien Vivès.

En quelques années, il a déjà écrit tellement de BD, pour tellement d’éditeurs, que peu de personnes peuvent se vanter d’avoir tout lu, moi y compris. Toutefois, en me basant sur les quelques ouvrages que j’ai pu lire, j’ai isolé 5 mots qui pour moi définissent bien son œuvre.

1 - Diversité

La première chose qui frappe dans l’oeuvre de Vivès, c’est son aspect hétéroclite. Récits intimistes (tout ce qu’il a sorti chez KSTR), BD d’action façon Cat’s eyes (La Grande Odalisque), Peplum (Pour l’empire), danse (Polina), baston façon shonen manga (Last Man), strips (toutes les reprises de son blog en collection Shampoing), et même pornographie (les melons de la colère), on couvre un champ très large.

Cette diversité thématique se retrouve dans la diversité du dessin. Si on reconnaît bien son trait d’un album à l’autre, les techniques utilisées varient fortement :

- Vue subjective et crayons de couleur pour Dans mes yeux

- Dessin européen classique pour Elles ou Le goût du chlore

- Dessin esquissé et palette graphique pour Polina, avec une grosse tendance à ne pas dessiner les yeux, comme dans le dessin animé jeu, set et match qui me faisait peur quand j’étais enfant (encore que parfois, dans cette série, les yeux sont dessinés mais sans orbite, et sans bouche, ce qui est presque plus flippant).

(et ouais, j’intègre une vidéo du Point.fr sur mon blog, je suis trop un dingue)

- Mais aussi travail en atelier avec des co-auteurs, comme sur la Grande odalisque ou Lastman, où on a du mal à savoir qui a dessiné quoi, car le but est de trouver une écriture commune.

Par exemple, sur Lastman, Balak fait le storyboard, et ensuite, soit Vivès, soit Salanville dessinent, mais comme vous pouvez le voir, les deux respectent la même charte graphique (je sais pas si on dit comme ça), et du coup, le dessin dans le volume est très homogène.

Ces deux illustrations proviennent de la formidable page facebook de Last Man, allez vite la liker, pauvres fous !

Cette plasticité du dessin n’est pas étonnante quand on sait que Vivès a fait l’école des Gobelins en animation (même s’il est parti avant la fin du cursus), où il a certainement appris à adapter son dessin à celui d’un autre auteur.

Mais il serait peut-être trop simple de parler ainsi : si le dessin varie suivant le sujet ou suivant les co-auteurs, on reconnaît toujours du premier coup d’œil son trait. Il s’agit plus d’une adaptation des techniques utilisées au thème et à l’émotion recherchée, que d’un travail de caméléon.

De même, bien que respectant les genres qu’il utilise, il a une façon unique de raconter les histoires. Les mots clés qui suivent vont nous aider à comprendre ce qui fait la spécificité du style Vivès.

2 - Fragments

L’une des grande caractéristique des histoires de Bastien Vivès est leur aspect fragmentaire, qui est plutôt original.

Fragments tout d’abord car ses premières histoires s’attardaient sur des moments précis dans une vie. Dans Elles, il s’agissait d’une rencontre et d’un week-end en Bretagne. Le goût du Chlore était avant tout l’histoire d’une rencontre, le début d’une histoire. Dans mes yeux au contraire racontait une histoire d’amour très courte.

Fragments surtout car il ne cherche pas à raconter une histoire en utilisant un schéma narratif classique état initial / élément perturbateur / péripéties / dénouement / état final. Chaque histoire est racontée par des moments, clés ou non, d’une histoire. Par exemple, dans Le goût du chlore, on ne quitte jamais la piscine. Parfois, la jeune femme à laquelle s’intéresse le personnage principal vient, parfois elle ne vient pas. A un moment, on se rend compte qu’ils sont devenus amis, mais, si mes souvenirs sont bons, on a pas vraiment vu le moment où cela c’est construit.

Dans les œuvres postérieures, Vivès a réussi à intégrer ces moments d’élipse de manière extrêmement intéressante. Dans Les melons de la colère (qui raconte l’histoire tragique d’une jeune femme paysanne et naïve, dont le grand malheur est d’avoir une poitrine démesurée), les viols sont montrés en une seule image pleine page, tandis que la vengeance ne sera montrée que par ses effets, et encore de manière indirecte, puisqu’on voit les médecins s’interroger sur ce qui a pu causer de tels dégâts. La réponse, dévoilée dans une scène à la fois émouvante, grotesque, et hilarante, repose là encore sur le lien de causalité entre ce qu’on a vu (des gens blessés) et ce qu’on voit (et que je ne vous raconterai pas).

Tout l’art de Bastien Vivès est de nous en montrer assez pour que l’on comprenne, tout en laissant assez de trous pour que l’imagination fasse son travail de reconstitution de l’histoire.

Si Polina est considéré comme son chef d’œuvre, c’est aussi pour cette utilisation de l’écriture fragmentée. On y suit les aventures d’une danseuse de l’apprentissage jusqu’au moment où elle est devenue une vraie danseuse (je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler). Mais la narration n’a rien d’Hollywoodienne. Une narration classique serait : montages sur l’entraînement, suspense sur les auditions, images de triomphe sur les succès. Polina n’est absolument pas raconté ainsi. Il s’agit de l’itinéraire d’une personnalité, notamment dans sa relation avec son maître. Vivès définit d’ailleurs l’histoire comme étant avant tout celle dune transmission. Si les premières phases d’apprentissages sont extrêmement développées, la narration devient de plus en plus elliptique et rapide au fur et à mesure que l’héroïne grandit. L’important n’est pas de voir comment elle va intégrer une compagnie de danse, sortir avec quelqu’un, etc. : l’important est d’être là au moment où la décision se prend. Etre là à l’origine d’un mouvement, puis à sa fin, et le lecteur comblera lui-même les trous.

3 - Mouvement

Parallèle à cette notion de fragment se trouve celui de mouvement. Si le narrateur privilégie le fragment sur une narration continue, c’est parce que chaque moment est particulièrement travaillé. Peut-être est-ce là une influence de la lecture des mangas, qui n’hésitent pas à consacrer une centaine de page à un seul combat, peut-être est-ce dû à son passé d’animateur, mais Vivès aime dessiner le mouvement.

Si ceci est naturellement visible dans son manga Last Man, parce que le genre exige que les scènes d’actions soient particulièrement décomposées, cet exemple n’est pas le plus typique de son écriture, ne serait-ce que parce que le découpage en est assuré par Balak.

Vous pouvez lire Last Man gratuitement et légalement sur le site delitoon, alors allez-y vite !

Toutefois, cet exemple est intéressant dans le sens où Vivès s’intéresse aux gestes techniques. Se battre (Last Man), danser (Elles, Polina), nager (Le goût du chlore). Les personnages de Vivès sont des personnages qui bougent, et qui sont définis par leur mouvement. Dans Polina, l’héroïne apprend la vie et crée sa personnalité auprès de son maître, avant de trouver sa voie par elle-même, affranchissant sa personne et sa danse.

Vivès s’intéresse aussi énormément au langage corporel. Dans mes yeux est une bande-dessinée qui illustre particulièrement bien ce point. Chaque page est généralement divisée en 6 vignettes. La vue étant subjective, il n’y a pas d’effet de cadrage : ce qu’on voit, c’est une personne qui parle. Et cette jeune femme bouge beaucoup en parlant : d’une certaine manière on a presque l’impression qu’elle danse. En multipliant les images pour un simple dialogue, on peut vraiment reconstituer le mouvement, comme vous pouvez le voir avec ce petit gif que j’ai fait avec mes gros doigts boudinés, et qui reprend l’intégralité d’un chapitre.

4 – Emotion

Cette recherche du mouvement est au service de l’émotion. Le rire, la tendresse, la tristesse, la joie, parfois tout en même temps.

Cette émotion se retrouve même là où on ne l’attendrait pas. L’histoire de Polina est très forte, évidemment, et il faudrait être une bête, pour paraphraser Serge Daney, pour ne pas avoir la gorge serrée lors de la conclusion. Mais le récit qui m’a le plus mis sur le cul est peut-être les melons de la colère.

Mettons cette histoire dans le contexte : il s’agit d’un récit publié dans la collection BD – Cul des requins marteaux, qui offre à de plus ou moins jeunes auteurs indépendants (Vivès, donc, mais aussi Bouzard, Nine Antico, Aude Picault, entre autres) la possibilité de rendre hommage aux récits type Elvifrance que les lecteurs du forum Bdtrash aiment tant (je tiens d’ores et déjà à m’excuser envers ceux qui perdront la raison après avoir lu Caroline Pompabitos) .

En parlant d’une jeune femme à la poitrine digne d’une héroïne de Queen’s blade (série tout public qui passe sur gong base à 10h du matin), on pourrait imaginer un récit léger et grivois. Mais en fait, c’est bien plus compliqué. Il y a bien des gags extrêmement drôles, largement basés sur l’anatomie étrange des membres de cette famille, mais il y a aussi des moments extrêmement durs. Ce qui est très fort, c’est la façon dont les gags découlent directement des moments tragiques. La scène où l’héroïne explique à son petit frère ce qui lui est arrivée, est à la fois terrible et digne d’un Russ Mayer. La scène du magasin Darty est incroyablement drôle, dans la lignée des gags absurdes publiés sur son blog, et terrifiante, de par les enjeux qu’elle contient. Enfin, la vengeance est aussi effroyable que grotesque.

Ce qui est très fort, c’est que Vivès prend son récit très au sérieux : on peut en avoir une lecture complètement parodique comme on peut y voir un récit de rape & revenge particulièrement glaçant.

Il s’agit d’une des très grandes qualités des bandes dessinées de Bastien Vivès que de nous amener aussi facilement d’une émotion à l’autre.

5 - Nichons

Pour finir sur une note positive, Bastien Vivès est, comme beaucoup d’auteurs de BD finalement, un master of boobs.

Ce GIF a été dessiné par Pochep, dont vous pouvez lire le blog ici. Il vient de cet article, publié sur le site du festiblog : http://www.festival-blogs-bd.com/2013/06/pochep.html. Le festiblog, c’est le week-end du 28-29 septembre, à Paris, et ça a l’air formidable.

Si elle tient évidemment le rôle principal dans les melons de la colère, sa passion pour les nichons se voit aussi sur son blog, notamment dans ce post ultime où il imagine ses héroïnes passées avec une poitrine protubérante.

http://bastienvives.blogspot.fr/2011/10/mercredi-lorsque-elle-avait-le-regard_7599.html

Mais cette passion pour les gros lolos trouve son accomplissement dans les making-of hilarants de Last Man, avec en invité Hitomi Tanaka, que les plus experts d’entre nous connaissent déjà, et pour les autres, je vous laisse activer le filtre safe search avant de regarder sur google.

C’est tellement bien qu’il faudrait en faire un long-métrage.

Conclusion

Diversité, fragments, mouvement, émotion, nichons : ces 5 mots résument parfaitement l’oeuvre de Bastien Vivès. J’espère que vous aurez envie de vous y plonger. Vous ne serez pas déçus.

Pour en savoir plus, je vous invite à lire son excellent blog : http://bastienvives.blogspot.fr/

Et à regarder cette excellente vidéo

Et vous pouvez aussi lire celui de Balak, l’un des co-auteurs de Last Man, qui le met régulièrement en scène : http://boubize.blogspot.fr/

Enfin, pour se quitter une vidéo pleine d’émotion où Bastien Vivès nous parle de l’album panini du monde de Nemo.

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