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The we and the I - Michel Gondry

dimanche 9 septembre 2012, par Kevo42

Il y a des films faciles à chroniquer, dont les thèmes sont évidents, surlignés au feutre, dont chaque plan est là pour signifier une idée. Un film comme Adieu Berthe, par exemple, est très simple à comprendre : l’indécision du personnage principal est de tous les plans, et puis il y a les acteurs des frères Podalydès, leur obsession pour la magie. Facile.

Un film comme the we and the I, est un peu plus compliqué, parce que son charme ne se réduit pas à son dispositif technique, et qu’expliquer pourquoi le film est bon crée le risque de le raconter.

Mais je vais quand même essayer de vous expliquer pourquoi The we and I est un très bon film.

L’histoire :

Dernier jour d’école dans un lycée du Bronx. Un groupe de jeunes prend le bus pour rentrer : les enjeux sont importants : qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? Moi je n’ai pas changé d’adresse. Je serai je pense, un peu en avance, au rendez-vous de nos promesses...

The we and the I : la théorie

Tout est dans le titre : le nous et le moi, les deux premières personnes. Comment se comporter quand on est face aux autres, quelle image de nous quand nous sommes seuls. Un programme digne d’un traité de Merleau-Ponty, mais mis en application dans un bus rempli de sales jeunes.

Le dispositif est assez théâtral : unité de lieu, qui plus est bien étroit (un bus, donc), et trois actes. L’occasion pour Gondry de structurer des improvisations crées lors d’ateliers d’écriture, avec des personnages largement autobiographiques.

L’idée est la suivante : tant que le bus est plein, les relations entre les personnages sont chaotiques : chacun est entouré de ses amis, il y a ceux qui organisent des fêtes, ceux qui veulent y participer, les dernières chances de récupérer un(e) petit(e) ami(e) avant les vacances, il y a ceux qui font chier tout le monde, bref, c’est le bordel : tout le monde agit en fonction du regard des autres. Au fur et à mesure que le bus se vide, les intrigues se font plus vives, les conversations plus profondes. Des masques tombent. Le moi se révèle.

Bien que le récit soit purement chronologique (une heure et demi dans un bus), il serait trop simple de parler de progression dans la psychologie des personnages. Si certains sont confrontés au jugement des autres, et amorcent un changement, il n’empêche que le nous et le je sont deux réalités qui se superposent. Nous agissons différemment suivant les personnes qui nous entourent, et nos personnalités s’accumulent, sans qu’on puisse dire : ceci est le vrai moi.

Surtout, à ces deux strates de réalité s’ajoute une troisième strate, celle qui se passe hors du bus : elle apparaît dans les récits que se racontent les personnages : les soirées, les mythos, mais aussi une vidéo type gag youtube qui se répand dans le bus, révélant qui fait partie du groupe, et qui n’en fait pas partie. Dans ce niveau de réalité, Gondry abandonne le style réaliste pour revenir aux vidéos suédées qui ont fait sa réputation. Le fond et le forme sont en adéquation : à l’époque des réseaux sociaux, les souvenirs se fixent sur téléphone portable, gardant la flexibilité propre au récit qui exagère, s’adapte à l’interlocuteur.

Bref, le dispositif est à la fois complexe et simple : ce qui se passe quand les gens sont en groupe, ce qui se passe quand ils sont l’un face à l’autre, ce qui se passe quand ils sont hors du bus.

The We and the I : la pratique

Mais tout cela ne fait pas un film. Et ce d’autant plus que fondamentalement, The we and the I est un film sur des jeunes qui parlent dans un bus, et pour qui a l’habitude de prendre les transports en commun, ceci n’est ni particulièrement dépaysant, ni particulièrement plaisant. Et surtout, la crainte de toute personne est : ce serait pas un peu chiant, tout ça ?

En fait, non, c’est très bien. The we and the I, fait partie de ses films, comme Ma nuit chez Maud, ou le diptyque Before Sunrise / before Sunset, où il se passe peu de choses, où on voit essentiellement des gens qui parlent de tout et de rien, et qui pourtant sont passionnants.

Tout d’abord parce que l’intrigue est plus dense qu’on ne le penserait : qui dit fin d’années dit multiples histoires entamées en cours d’années, des relations qu’on ne comprend pas au début et qui s’éclairent au fur et à mesure, des problèmes laissés en suspens qui trouvent leur solution.

Ensuite, les personnages sont intéressants et complexes : en accord avec le dispositif, chacun nous montre plusieurs visages, montrant des forces et des failles inconnues au premier abord.

Enfin, Gondry est quelqu’un de très intelligent, et un sacré bon réalisateur. Techniquement, le film ne fait jamais cheap, la lumière est belle, les plans très beaux malgré le défi posé par le décor (un bus en mouvement, avec un arrière plan qui change tout le temps). La preuve que c’est possible même sans beaucoup de budget. Ensuite, il n’hésite pas à laisser le film respirer, comme lors de cette scène où l’on suit une cycliste roulant aux côtés du bus, nimbée dans la musique de Boards of Canada. Une scène qui suspend l’intrigue, pour mieux la reprendre ensuite (je ne vous raconte pas, mais c’est drôle). Le film est rempli de ce genre de micro-inventions, de celles auxquelles on ne fait pas attention, et qui pourtant huilent tous les mécanismes à l’œuvre dans le film.

Dernière chose : les choix musicaux sont excellents, à base de rap old school et d’électro planante. En même temps, c’est le minimum qu’on puisse attendre d’un film de Gondry, non ?

Et alors, c’est bien ?

C’est même super. Gondry approfondit un thème commencé dans Block Party, et continué dans Soyez sympa, rembobinez, un thème étonnant pour un cinéaste français, celui de la vie du Bronx, des gens qui y habitent, et surtout explore encore plus en avant la question des rapports sociaux : qu’est-ce qu’une communauté ? Comment on s’y intègre ? Comment faire pour être aimé ?

C’est un film très complexe, très écrit, qui jongle entre une dizaine de personnages, d’intrigues, avec des éléments de contexte qui viennent de partout, mais qui se donne facilement, qui ne frime jamais . Un film piège : on croit voir quelque chose d’anodin, et on termine sur le cul.

Voilà ce que vous devez savoir sur the we and the I. Je ne sais pas si j’ai réussi à expliquer pourquoi le film vaut beaucoup mieux que le 5,8 qui le définit actuellement sur IMDB, mais j’ai envie de dire : donnez une chance à ce film, il vous le rendra bien.

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