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Intouchables - Olivier Nakache, Eric Toledano - 2011

vendredi 11 novembre 2011, par Kevo42

Le film phénomène des vrais gens de la France. Et c’est même pas un mauvais film. Y a même des choses à en dire. Si si.

Présentation rapide pour les gens qui vivent dans une grotte, avec suffisamment de réseau pour venir consulter ce blog.

D’un côté on a François Cluzet, qui est paraplégique, mais riche. D’un autre côté on a Omar Sy, qui est valide, mais pauvre. La rencontre des deux va être explosive : explosion de larmes mais surtout de rires, parce que c’est un film qui fait du bien par où il passe.

Mettons les choses au clair : ce film n’a rien à voir ni avec les incorruptibles de De Palma (untouchables en V.O), ni même avec l’album de Korn Untouchables, et encore moins avec la caste indienne. Non, ici, c’est intouchables, dans le sens : U can’t touch this :

Genre, moi et mon bro, on peut pas être touché, parce qu’on est les meilleurs.

Faisons rapidement une critique type premiere du film : Intouchables est un film qui a du succès, et c’est mérité car c’est un bon film. Il est bien écrit, bien rythmé, les acteurs sont bons, les blagues sont drôles, y a la petite touche d’émotion qui va bien avec un joli final, la réalisation est pas folle mais elle n’est pas laide, donc de ce côté, c’est du tout bon.

Le film ne prend pas trop de risques dans sa structure, puisque c’est un buddy movie assez typique, avec sa construction type : deux personnes que tout oppose sont dans une situation de cohabitation plus ou moins forcée : au début ils se prennent la tête, mais au final deviennent les meilleurs amis du monde, et franchissent tous les obstacles. Dans une époque où tout part en couille, où c’est la crise, et en plus c’est l’automne et la mélancolie qui va avec, ça fait plaisir de voir un film plein d’espoir et qui a un mot gentil pour chacun.

Donc, décidément bon film.

Maintenant, il y a deux axes d’analyse possibles par rapport à ce film, et ces deux axes sont d’autant plus intéressants qu’ils sont assez contradictoires.

Le premier axe est celui de la lutte contre le handicap, dans les deux sens du terme. François Cluzet est en effet handicapé physique quasiment total, absolument incapable de rien faire tout seul. Omar Sy de son côté est un handicapé social : il sort de prison, sa famille le rejette, il n’a plus nulle part où aller. Les deux sont intouchables au sens où personne ne veut les toucher : à leur manière ils sont invivables pour les autres : Cluzet est désagréable avec tout le monde, traînant son envie de mort ; Omar n’amène que du malheur là où il passe. Bizarrement, ces désavantages sont le moteur même de leur relation (ce qui fait d’Intouchables un excellent buddy-movie) :

- Cluzet offre la sécurité à Omar en lui offrant un travail et un logement
- Omar offre à Cluzet son franc-parler, son corps musclé, et une compréhension de ses problèmes qui ne se limite pas à l’aspect strictement médical (cf. les deux scènes de massage d’oreille : Omar comprend l’enjeu érotique, son remplaçant pas du tout).

Le film est donc un film de reconstruction : contrairement à beaucoup de buddy movies, type Arme fatale, l’enjeu n’est pas de créer un couple qui dure, mais de permettre à chacun de rebondir. Omar va reprendre confiance en lui, retrouver sa place dans sa famille (la sous-intrigue avec le petit frère), et dans le monde du travail (l’entretien d’embauche pour le transporteur, en opposition totale avec l’entretien d’embauche avec Cluzet). De son côté, François Cluzet arrive à s’ouvrir de nouveau socialement, renoue le dialogue avec sa fille, et accepte le deuil pour croire de nouveau à l’amour.

La reconstruction arrivée à son terme les rend intouchables dans le sens positif : ils sont blindés, plus rien ne peut leur arriver.

Il y a une autre lecture possible du film, qui lui est plus ou moins opposée, celle de la lutte des classes. Il y a un côté très symbolique à ce que le riche soit impuissant physiquement, et que le pauvre soit costaud. On peut même aller plus loin : Omar est complètement aliéné par François Cluzet, dépossédé de sa propre vie : il doit vivre au même endroit, être constamment à ses ordres. Omar devient les bras et les jambes de Cluzet, mais pas son cerveau ni sa volonté.

La différence entre les classes se montre aussi sur le plan culturel. Le monde de Cluzet et celui d’Omar ne se rencontrent jamais vraiment : la scène du concert de musique classique et de l’opéra sont de ce point de vue très drôles et en même temps très triste : Cluzet essaie d’initier Omar à la musique classique mais la rencontre ne se fait pas. A l’opéra, Omar rit des costumes, de la langue allemande. Il est complètement incapable d’aller au-delà des apparences, de s’élever au niveau symbolique de l’opéra. Pareil pour le concert de musique classique : Omar renvoie toujours les morceaux à leur dimension la plus prosaïque, par exemple celle de la musique d’attente au téléphone. L’opposition est d’autant plus nette que lorsqu’Omar met sa propre musique (Earth, Wind & fire, on peut pas dire que Nakache/Tolédano aient joué la provoc sur ce coup-là), il ne retient que la dimension physique de la musique : faut que ça danse. On notera d’ailleurs que les gens qui dansent avec lui sont surtout les employés de François Cluzet (l’intendante et le jardinier), et pratiquement pas les invités. On reste entre soi, et tout le monde est content.

La même chose est d’ailleurs valable concernant l’art contemporain (des mecs qui gribouillent n’importe quoi), et la littérature (pourquoi écrire des lettres quand on peut appeler ?) : Omar va toujours au plus direct, Cluzet au plus symbolique.

Faut-il en conclure que le film est conservateur pour autant ? Pas si sûr. Il y a un transfert de valeurs qui se fait quand même : Cluzet regagne son autorité, apprend à envisager les choses plus directement. De son côté, Omar est capable de reconnaître un tableau de Dali, et de voir le symbole caché derrière. Surtout, il comprend l’importance de quitter l’assistanat pour devenir son propre chef d’entrerprise (la conclusion de l’histoire vraie, c’est que l’aide soignant est devenu patron). De ce point de vue, le film est bien dans son époque : l’apanage des puissants, ce n’est plus la culture, mais la capacité à faire de l’argent.

Intouchables est donc un film intéressant à plus d’un titre : sous l’aspect d’un film très consensuel et rassurant, il dit pas mal de choses sur notre époque. Un bon divertissement, succès populaire, et pas inintéressant en plus. C’est plus que ce que j’espérais.

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