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Une histoire d’amour - Hélène Fillières

dimanche 13 janvier 2013, par Kevo42

Il y a un plaisir à parler des bons films, mais il y a aussi un plaisir à parler des mauvais films. Eux aussi méritent qu’on en parle, qu’on les analyse, qu’on dise précisément pourquoi on ne les aime pas. Une histoire d’amour, premier film d’Hélène Fillières (soeur de la réalisatrice de Gentille, les vrais savent) n’a pas retenu le nom du roman du toujours glauque Régis Jauffret dont il est adapté : sévère. Mais l’ennui qu’il dégage l’est assurément, et la performance est telle qu’elle mérite d’être décortiquée du mieux possible.

De quoi ça parle ?

Benoît Poelvoorde est banquier et aime bien se serrer le bras très fort avec un gros élastique. Ce n’est pas un drogué, mais un masochiste. Laetitia Casta vit avec Richard Bohringer dans une belle maison, mais vend quand même son corps à Poelvoorde. Les deux vont vivre une histoire sulfureuse d’amour à mort, enfin c’est ce que l’on croit en rentrant dans la salle, car parfois les apparences sont trompeuses.

Ce que l’on attend et ce que l’on a.

Il n’y a pas de mauvais sujets au cinéma, mais il faut oser les traiter à fond. Par exemple, un sujet a priori aussi peu cinématographique que les restaurants de nouille au Japon a engendré deux films tout à fait étonnant : Tampopo, film délirant où les plus grands maîtres enseignent les techniques secrètes de la soupe aux nouilles à une jeune veuve, et Tachiguishi Retsuden, film particulièrement déconcertant de Mamoru Oshii, où l’histoire du Japon contemporain nous est contée à travers l’évolution des techniques de resquille dans les fast-food.

Pourquoi est-ce que je vous parle de cela ? Parce que ces deux films, qu’on les aime ou pas, n’ont pas peur de leur sujet, et y vont à fond. Et le gros souci d’une histoire d’amour, comme on va le voir, est qu’il s’agit d’un film qui refuse obstinément de traiter son sujet.

Parce que de quoi parle le film ? D’une relation sado-masochiste, qui devient si extrême qu’elle amène à la mort. Que cette histoire provienne d’un fait-divers réel, honnêtement, ce n’est pas très important. Il s’agit vraiment d’une histoire très simple, et pour qu’elle marche, il faut que ce qui en fasse le cœur soit réussi : le sexe et la violence.

Or, une histoire d’amour ne contient ni sexe ni violence.

Je cite une interview publiée sur le site du nouvel observateur :

« Qu’avez-vous retravaillé en priorité ?

Les scènes de sexe, toutes différentes du roman, super à lire mais trop crues et trop explicites. Je les ai réécrites jusqu’à la veille du tournage. J’ai aussi désigné la corde comme le seul accessoire que les personnages utiliseraient hormis le fouet. Je ne voulais pas réaliser un documentaire sur le sadomasochisme, Barbet Schroeder l’avait très bien fait avec « Maîtresse » [1975, NDLR]. La corde, un rituel, un truc de « dopé », correspond à cette histoire ».

Et bien non, ça ne marche pas. C’est comme vouloir filmer un Rocky sans coup de poings dans la tête parce que ça fait couler du sang, comme vouloir filmer Antichrist sans coup de buche sur le sexe turgescent de Willem Dafoe. Tel que le film est écrit, la relation entre les personnages n’existe que dans le rapport sexuel : tu me frappes, ça me fait bander, je te baise. Plus j’ai la sensation de mourir, plus j’ai envie de baiser. Le rapport de domination que ça induit : qui est le plus fort, la femme qui frappe, l’homme qui veut être frappé ?

Si on veut être impliqué, il faut que ce soit violent, charnel, graphique : on aime ou pas, mais des films comme Tokyo Decadence (de Ryu Murakami), Guilty of Romance (de Sono Sion), ou Crash (de Cronenberg), sont des films qui explorent le désir sexuel, n’éludent rien de la violence, proposent des scènes fascinantes et choquantes qui portent, en elles mêmes, le discours du cinéaste sur le sujet. Marquantes, quoi.

Quand on va voir un film de Haneke on sait qu’on va en prendre plein la tête : il ne se pose pas la question de savoir si c’est trop cru ou trop explicite. Il y va.

Dans une histoire d’amour, les scènes d’amour durent trente secondes, il n’y a aucune gradation dans la violence, il n’y a pas de corps (un peu celui de Poelvoorde, rien de Casta), il y a des petites gifles mignonnes, il y a un tir à blanc avec un pistolet, et même la scène finale est éludée : la réalisatrice n’ose pas filmer tout le rituel, on ne comprend pas d’où sort la combinaison, qui semble faite pour aller plonger, et coupe l’action via un montage parallèle avec le mari de Casta (joué par Richard Bohringer). A aucun moment on est fasciné, ou bousculé, le film n’interroge rien du tout.

L’attente qu’on peut avoir face à un tel film, que j’exprimais dans ma présentation du film, d’avoir une sorte de version française de l’empire des sens, est bafouée, mais le film pourrait sauver les meubles par une approche psychologique. On va voir que ce n’est pas le cas non plus.

Un film qui ne raconte rien.

Un film sur une relation sadomasochiste sans scènes de sadomasochisme, est, on l’accordera facilement, une idée un peu étrange. Mais dans le Stratège de Bennett Miller, on parle de baseball de manière particulièrement érudite et intéressante, sans qu’on voie plus de deux minutes de match. Tout est possible.

Mais une histoire d’amour ne va ni dans la direction du drame psychologique, ni dans la direction du film théorique. Il va dans la direction du catalogue Ikea.

Je reprends l’interview de la réalisatrice :

« Le film divise, j’entends parfaitement les critiques, on m’adressait les mêmes au tournage : « Il n’y a pas assez d’informations, qui est le mari de la jeune femme (interprété par Richard Bohringer) ? Quel est son passé ? » Je répondais : « Je ne sais pas. Je ne peux donc me permettre de le dire. » Pour moi, l’émotion ne pouvait surgir que de l’inconnu. »

Ah le mystère, l’opacité, quel charme ! Mulholland Drive, cauchemar ou réalité ? Elle est morte ou pas Naomi Watts ?

Mais ce n’est pas ce genre d’opacité. Car il n’y a rien d’anormal dans ce film, qui raconte en soit une histoire très banale. Une femme vit avec un homme plus vieux qu’elle, est attirée par l’argent, rencontre un homme très riche, qui la déstabilise parce qu’il aime être frappé, et elle ne sait pas où elle en est, et son mari en souffre, car il lui laisse sa liberté mais ne veut pas la voir souffrir.

Même sans montrer l’acte sexuel, il y a de quoi faire un drame assez dense. Sauf que

1 – l’histoire est racontée de manière faussement complexe : récit non chronologique, relation entre les personnages non précisées, rien n’est développé, les personnages n’ont même pas de nom.

Dans une interview donnée à Slate,Hélène Fillières dit :

« Dans le premier plan où l’on voit Laetitia Casta dans le film, je l’ai posée sur un canapé et on se demande d’emblée si c’est une pute. Pourtant elle est simplement assise, habillée normalement. Certes, c’est Laetitia Casta, qui dégage un érotisme particulier quoi qu’elle fasse, mais de toute façon, à voir une femme ainsi posée, à disposition, vulnérable, on se demande forcément si c’est une pute. Pourquoi ? »

Bah peut-être que

- si on avait vu comment les personnages se rencontrent

- si Casta n’était pas amenée par le chauffeur de Poelvoorde qui la traite exactement comme il le ferait d’une prostituée

- si leur rapport n’était pas entièrement orienté vers l’argent

- si le rapport entre elle et Bohringer était un peu plus clair dès le début (on pense vraiment que c’est son père, tant ils échangent peu de tendresse),

peut-être alors qu’on pourrait penser que ce n’est pas une pute.

Mais pour ça, il faudrait que le film raconte quelque chose. Or

2 – Les scènes de dialogue sont peu nombreuses et ne racontent rien

On ne parle pas beaucoup dans une histoire d’amour. Une scène typique pourrait en être : décor moderne avec des meubles de designer et du verre, travelling dans un couloir : soit on suit quelqu’un qui marche, soit on voit quelqu’un qui se tourne lentement vers la caméra, l’air sérieux, en fond, on entend la musique ambiante, un peu noise d’Etienne Daho, qui n’est pas mal du tout.Si vous êtes fétichiste, et que vous aimez les gens qui marchent dans des couloirs, une histoire d’amour va vite devenir votre paradis, tant ces scènes constituent au moins la moitié du film.

On a l’impression de regarder un catalogue de meuble (y a de très belles étagères), ou une vidéo un peu originale de fashion tv.

Les rares scènes de dialogue sont d’un inintérêt total : Poelvoorde parle avec Nahon de trucs (je ne sais même plus de quoi), Casta est dans un avion et parle avec Reda Kateb du beau temps en Australie (génial !) . Rien qui soit en rapport avec le sujet du film.

Et alors c’est bien ?

Une histoire d’amour n’est ni un film sexuel, ni un film psychologique. Je ne sais pas si c’est un film tout court, tellement il ne raconte rien.

Pourtant, au début, on y croit : il y a des images, parfois très belles : on sent que la réalisatrice a réfléchi à son image, il y a un jeu très intéressant sur les longues focales (un détail est isolé à l’écran car il est le seul objet non flou), même si certains plans sont un peu too much et laids.

Les acteurs sont assez prestigieux, mais à part Poelvoorde, qui est très bon dans un rôle pas du tout évident, tout le monde joue très mal : Bohringer est atroce, mais Nahon aussi. Casta n’a quasiment rien à dire, rien à faire,donc c’est difficile de juger.

Une histoire d’amour est un trou noir : 01h20 de rien. Pas mystérieux, pas sensuel, pas profond. Un échec complet et incroyablement frustrant : pourquoi, alors que la réalisatrice a visiblement un talent visuel certain, pourquoi avoir choisi de ne rien filmer ? Cette frustration, était-elle volontaire, cherchant à jouer sur les désirs non satisfaits du spectateur dans un sadisme redoublé ?

Quel que soit le but recherché, c’est raté. Une histoire d’amour est simplement un très mauvais film.

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