Le fantabuleux blog de Kevo42
Accueil du site > Films > Actualités cinématographiques > The Master - Paul Thomas Anderson

The Master - Paul Thomas Anderson

lundi 21 janvier 2013, par Kevo42

Les films de Paul Thomas Anderson sont toujours des événements. Quand en plus, son nouveau film voit le retour de Joaquin Phoenix au cinéma après plusieurs années d’errance, et l’oppose à un Philip Seymour Hoffman habitué des prestations mémorables, on salive. Quand enfin, le film est censé plus ou moins parler de scientologie, on dit : je veux voir. Et j’ai vu. Donc j’en parle.

De quoi ça parle ?

1945 : Freddie Quell (Joaquin Phoenix) revient de la guerre du pacifique, avec quelques traumatismes et un alcoolisme sévère. Il n’arrive pas à s’intégrer dans ce nouveau monde. Il rencontre Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), écrivain, philosophe, médecin, physicien nucléaire, mais avant tout un homme, et surtout fondateur de la Cause, mouvement d’exploration de l’âme humaine plus ou moins sectaire.

Le maître va-t-il faire de Quell son élève, son esclave, juste quelqu’un de bien ou rien du tout ?

Un film visuellement fantastique

Lorsque je parle d’un film, j’aime commencer par traiter des thèmes pour arriver à la question de la forme. Bien que le film soit très riche, sa forme est si forte que je ne peux que commencer par là.

The master est un film magnifique, en plus d’être original. Si Paul Thomas Anderson a toujours été ambitieux, on a pu lui reprocher un certain manque d’originalité sur certains points : la scène de la piscine de Boogie Nights inspirée par Soy Cuba, certains plans de Punch Drunk love inspirés par Tati, l’ombre de Robert Altman qui plane au dessus de Magnolia. Dans there will be blood, et surtout dans the master, PTA propose des plans qui sont à la fois très originaux (jusqu’à preuve du contraire), n’obéissent pas aux conventions du cinéma classique, et sont parfaitement adaptées à l’histoire.

La photographie est superbe : toutes les scènes de plage et de bateau au début sont un ravissement pour les yeux, non seulement par les cadrages, mais par la lumière : on a rarement vu de plus beaux ciels au cinéma.

Le film entier est un tour de force technique formidable : les plans séquences fous se succèdent sans être gratuits : ils sont tous ancrés dans l’histoire.

Cette virtuosité est un peu moins affichée dans la deuxième partie de l’histoire : n’ayant vu pour l’instant le film qu’une fois, je ne sais si c’est parce qu’on s’habitue, ou si c’est parce que PTA se concentre alors plus sur les personnages. Le film ne devient pour autant jamais banal.

Il est donc très étonnant de voir que le film n’a été nommé dans aucune catégorie technique aux Oscars 2013. Il est toujours difficile de juger de la pertinence d’une telle récompense, quand on pense à toutes les tractations qui l’entoure, et quand on sait que la plupart des films nommés ne sont pas encore sortis en France, et puis on ne peut pas toujours tout voir. Mais tout de même, aussi impressionnant que soit l’Odyssée de PI, il est loin d’avoir une meilleure photographie que ce Master, qui est visuellement un des films les plus riches que j’ai pu voir ces dernières années.

L’histoire d’un homme perdu

Si dans son ampleur, the Master rappelle there will be blood (et ce d’autant plus que la musique est encore une fois signée par Johnny Greenwood, là encore dans un style extrêmement éloigné de son jeu de guitare dans Radiohead) , dans son histoire, on pourrait plutôt le comparer à Punch Drunk Love.

En effet, comme le personnage joué par Adam Sandler, Freddie Quell, est un homme perdu. Les deux sont des personnes fragiles (Adam Sandler est constamment harcelé par ses sœurs, Joaquin Phoenix joue comme s’il portait le poids du monde sur ses épaules), capables de montées de violence subites, avec une certaine attraction vers le sexe (le téléphone rose de Punch Drunk Love, le monde saturé de références sexuelles de The Master). Surtout, les deux sont en décalage avec un monde dont ils ne comprennent pas pleinement les règles.

Toutefois, ce ne sont pas les mêmes personnages : Freddie Quell est une version extrême de Barry Egan dont les névroses n’auraient pas été étouffées par le cadre rassurant d’une petite entreprise en zone industrielle, mais qui auraient été développées par la guerre. Sa violence ne s’exerce pas sur des objets, mais sur des gens. Son obsessions ne porte pas sur des miles d’avion via du pudding mais pour un alcool aussi artisanal que dangereux.

Surtout, là où Barry Egan trouve une réponse dans un amour qui l’accepte, Quell est un être profondément seul. La seule vraie histoire d’amour qui lui est attribué échoue par peur et par la faute d’un mauvais tempo (la fille qui l’aime est mineure), et le substitut d’amour qu’il trouvera est celui de la relation très particulière qu’il peut avoir avec le Maître, Philip Seymour Hoffman.

Une relation d’espoir et de frustration

Freddie Quell tombe par hasard sur Lancaster Dodd, au terme d’une errance représentée par un plan séquence absolument renversant. Cette relation qui représente le noyau dur du film, est extrêmement dense, car elle se joue sur plusieurs niveaux :

- Du point de vue de Quell, c’est une chance d’être utile (il sait faire le grog qu’aime le Maître), de faire partie d’une famille (La Cause), la chance aussi de comprendre ce qui se passe dans sa tête (le but de La Cause est de purifier l’âme des troubles qui la souillent depuis des milliers d’années, se propageant de réincarnation en réincarnation). Mais il est en décalage constant par rapport à ces buts : l’alcool est un poison potentiel, ce qu’il apporte à La Cause est assez négatif (de la violence, en gros), les autres membres importants se méfient de lui, et surtout, la cure marche de manière assez étrange sur lui.

- C’est que, comme le signale le fils de Lancaster Dodd, celui-ci a tendance à inventer au fur et à mesure. Si la méthode de la cause se veut très scientifique, les différents « jeux » que Dodd inflige à Quell semblent de plus en plus obscurs, jusqu’à sombrer dans l’absurdité (la scène du mur et de la fenêtre). Pour Dodd, Quell est une énigme autant qu’un défi : s’il veut faire reconnaître sa méthode, il doit réussir à le soigner. Pour que cela ait une chance de marcher, il faudrait que les deux soient sur une même longueur d’ondes. Pourtant, on voit tout du long, et notamment lors d’une scène finale assez ironique, que Quell ne comprend pas du tout où Dodd veut en venir, qu’il est un homme sans maître.

Cette relation est plus complexe encore : on sent l’admiration, des améliorations en surface du comportement de Quell, l’amour déçu qui s’exerce entre ces deux hommes. Ainsi, si le film peut sembler sombrer dans une répétition de scènes d’analyse entre psychanalyse et ésotérisme, le rapport toujours changeant entre les deux personnages principaux, soutenu par un jeu d’acteur absolument remarquable, fait que l’histoire reste toujours intéressante. Surtout cette répétition inscrit le film dans une impression de durée, qui est capitale pour le film. Il ne s’agit pas d’accélérer le temps comme un montage clippé (par exemple, le quotidien dans la guerre est déclarée, résumé en trois minutes d’images symboles de la routine), mais de donner à ressentir le travail psychologique qui s’effectue, alors que l’histoire personnelle entre les personnages s’inscrit dans le contexte plus grand de la constitution de la secte et de son élargissement progressif.

Les débuts d’une secte

Si la Cause est plus ou moins inspirée par les concepts de la scientologie, l’approche qui en est faite est très nuancée. Lancaster Dodd est en effet un personnage qui apparaît aussi charismatique que profondément sincère. Même s’il est un homme d’affaire avisé (on voit le mouvement s’étendre petit à petit), on sent qu’il est, avec sa femme, extrêmement investi dans ce qu’il fait. Ce premier degré est vraiment fascinant, parce que les thèses qu’il défend sont étranges : vies passées, extra-terrestres, âmes impures façon manichéisme (le vrai, celui qui oppose la lumière et l’obscurité en notre âme), et que les développements qu’il leur donne ne sont pas du tout aussi scientifiques que ce qu’il voudrait faire croire. Ses thèses sont contradictoires, mais sont soutenues par sa capacité à maîtriser le langage et à charmer le public, tandis que ses disciples se démènent pour tenter de rendre compte des contradictions qui ne manquent pas d’apparaître.

Confronté à ses insuffisances logiques, le Maïtre perd alors de sa superbe, révélant une violence cachée au fond de lui.

Paul Thomas Anderson est très charitable, au sens philosophique, avec le discours du Maître : il ne le critique jamais, ne le tourne pas en ridicule. Il ne cache pas non plus ses défauts, ses incohérences, son manque de fondement. C’est par son échec à soigner de vrais malades que la pensée de Dodd est discréditée.

Et alors c’est bien ?

Clairement, il s’agit d’un film à voir. Visuellement époustouflant, servi par des acteurs remarquables, et très dense, the Master est l’histoire d’une obsession, d’un échec, d’une vie gâchée, d’une amitié déçue. Pas le genre de films qu’on épuise en une vision, plutôt le genre qui demande d’être digéré. C’est la marque de l’ambition de Paul Thomas Anderson : écrire et réaliser des films qui ne ressemblent à aucun autre, et n’ont d’autre point de repère que la volonté de marquer l’histoire du cinéma.

A lire aussi :

une analyse intéressante et très différente de la mienne du film. Ca vient d’un site catholique, mais je sais pas si ça a une importance : http://www.patheos.com/blogs/dochol...

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0