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Télé gaucho - Michel Leclerc - 2012

lundi 10 décembre 2012, par Kevo42

Jusqu’ici la filmographie de Michel Leclerc se résumait à deux films : j’invente rien et le nom des gens. Le premier était exaspérant, le deuxième enthousiasmant. Où se situe Télé gaucho ? La bande-annonce fait craindre le pire, en alignant gauchisme pas subtil, ambiance péril jeune et Maïwenn. Mais la vérité, une fois le film vu, quelle est-elle ? C’est ce que vous allez découvrir ici.

Qu’est-ce que ça raconte ?

Années 90, Victor (Felix Moati) se morfond dans le pavillon de banlieue de ses parents. Son père veut qu’il suive des études d’informatique, mais lui rêve de cinéma, de grand cinéma : Godard, Rossellini. Il s’y croit pas mal.

Quand il obtient par hasard un stage chez Patricia Gabriel (Emmanuelle Béart), héroïne de la télé-poubelle façon Evelyne Thomas, il n’est pas pris par un fol enthousiasme mais tout de même : monter sur Paris, gagner son indépendance, ce n’est pas rien. Les choses sérieuses commencent quand il croise les allumés de télé gaucho : télé 100% de quartier, 100% engagée, 100% gaucho.

Un film à clés  

Victor a un héros : François Truffaut. La saga Antoine Doinel l’obsède, et elle semble aussi obséder Michel Leclerc. Si télé gaucho n’est ni la suite ni le prologue du nom des gens, les deux films sont liés autour de leur aspect autobiographique. Le nom des gens était une très belle déclaration d’amour à sa compagne actuelle Baya Kasmi. Télé Gaucho est un hommage à Télé Bocal et à sa première compagne, Clara.

Télé – gaucho

Au départ, le film était prévu comme un simple documentaire sur télé-bocal, où Michel Leclerc a appris les bases de la réalisation. Cet aspect est encore très présent dans le résultat final.

Le cœur du film réside en effet dans cette télé des plus originales. Présentée comme une cour des miracles modernes, on y croise de tout : un chanteur pour enfants décalé (ou fou, suivant le point de vue : vous pouvez vous faire une idée en regardant ses clips), un chameau, et surtout des militants.

Télé-gaucho est une émission de télévision alternative basée sur deux grands axes

- la couverture des mouvements sociaux : grève de la fin, manifestation de sans papiers, mais aussi à l’inverse, couverture des manifestants anti IVG ou anti-PACS, voire Front national pour montrer à quel point ces gens sont affreux. Le film mélange images filmées pour l’occasion et vraies images filmées à l’époque par Télé bocal

- La vie du quartier, des vrais gens de la vraie vie, pas ceux qu’on voit chez Pernault.

Se voulant télévision de gauche, télé-gaucho donne sa chance à tout le monde : tu arrives, tu veux faire quelque chose, on te donne une caméra et tu y vas. On voit surtout les personnages charismatiques de la télé :

- Jean-Lou (Eric Elmosnino, formidable, comme toujours) : le boss. Il est gouailleur, escroque tout le monde, mais tient la baraque.

- Yasmina (Maïwenn) : la militante : rencontrée lors d’une manif féministe, elle est de tous les combats. Pour elle, Télé Gaucho, c’est du sérieux.

- Etienne (Yannick Choirat) : le dialecticien : il a beaucoup lu Marx et Alhtusser, constamment vêtu d’une veste de l’armée allemande, et tue toute conversation par sa science de la dialectique.

Victor le héros va se faire sa place dans ce bazar par sa rubrique, les objets qui font chier, qui est bizarrement typiquement le genre de petites chroniques qu’on trouve sur le net actuellement.

De la difficulté d’être de gauche

La raison pour laquelle le film ne s’est pas limité au documentaire est que plus que le résultat, ce sont les gens qui intéressent le réalisateur.

Comme les deux films précédents de Michel Leclerc (J’invente rien et le nom des gens), Télé-Gaucho est profondément de gauche, et pas n’importe quelle gauche : la gauche française, celle qui porte des keffieh, celle qui manifeste, celle qui écoute des fanfares punks, celle qui écoute les têtes raides, celle qui lit Proudhon, celle qui aime les cracheurs de feu. Rien que pour ça, il propose un univers profondément original dans un cinéma français obsédé par les résidences secondaires.

Mais dans le débat qui a suivi la projection, Leclerc a bien précisé quelque chose : s’il a beaucoup d’admiration pour ces gens, lui-même est loin d’être aussi radical dans sa façon de penser. Du coup, ses films ont toujours une certaine ambivalence, une prise de recul, qui les rend intéressant.

A chaque trait de caractère correspond une face lumineuse autant qu’une face obscure : les plus militants cachent des compromissions, les plus indépendants sont ceux qui vivent le plus au crochet des autres, et la générosité dans les sujets traités (tu viens, tu proposes des trucs, tu filmes), ne cache pas que certaines personnes n’ont pas droit à la parole (car elles proposent des sujets trop ennuyeux). Bref, ce ne sont pas des idéaux, pas des héros, mais des humains, pris dans leurs contradictions.

Si le film suit une trajectoire de type ascension et défaite toute relative (télé bocal existe toujours, et leurs ambitions n’ont jamais été vraiment élevées), il est surtout porté par une angoisse de la réussite, empêchant toute évolution en dehors de la minorité, malédiction qui semble toucher toute l’extrême gauche française. En voyant le film, on a parfois l’impression que ce n’est pas tant la radicalité qui bloque, que ce désir de rester entre potes, dans son univers, qui amène une perte de ses moyens dès qu’on sort du cadre.

De la même manière, Michel Leclerc arrondit les angles avec la télé commerciale. Le héros est un pragmatique, qui monte ses sujets d’extrême gauche sur les bancs régie de la télévision la plus commerciale. Le personnage de Patricia Gabriel est une contradiction ambulante : cultivée et sensible, elle a mis en arrière ses valeurs pour satisfaire son ambition personnelle.

Si on a jamais de doute sur ce que le personnage pense du résultat final (télé gaucho est plus intéressante que HT1, la télé commerciale), le portrait des humains qui sont derrière est beaucoup plus complexe et nuancé.

Une belle histoire d’amour

Ce qui fait l’intérêt des films de Michel Leclerc n’est pas que leur aspect militant, qui les limiterait à une tranche très particulière de la population, mais aussi leur aspect comédie d’amour décalée. Comme dans le nom des gens, Sara Forestier est formidable, dans un registre un peu différent. Baya était très sûre d’elle, une missionaire de gauche. Clara elle, n’a pas d’idées, et se trouve prise dans l’ouragan télé gaucho par hasard, et surtout par l’envie d’enfin appartenir à un groupe. Ses échecs constants, sa personnalité décalée, en font un personnage ambivalent : à la fois très drôle, et très triste, comme un Pierre Richard au féminin.

Son histoire d’amour est à cette image : intense et en même temps secrète, Victor étant à la fois partagé entre l’amour qu’il lui porte et la honte qu’il éprouve à la présenter à ses parents. VIC

Enfin, il y a une très belle idée de réalisation : parce que l’histoire est intimement liée à télé gaucho, tous les moments clés de la relation qui unit Clara à Victor sont filmés. C’est un peu la malédiction du cinéaste, rattrapé par la réalité quand il pense filmer autre chose.

Mais alors c’est bien ?

La bande-annonce faisait très peur, mais le film est bon. Bien sûr il a des défauts : Maïwenn est une bien mauvaise actrice (sa grande scène d’émotion est complètement ratée), Michel Leclerc est un bien meilleur réalisateur que chanteur, et certains délires décalés sont un peu lourds (le fameux Adonis pèse un peu, par instants). Surtout, c’est un film sur une télé locale anarcho-marxiste, ce qui est un fait de base indépassable dans votre appréciation ou pas du film.

Mais il y a des aspects du cinéma de Michel Leclerc que j’aime beaucoup : le sens du rythme, l’originalité et la belle écriture de ses personnages, une tonalité à la fois drôle et grave (la fin est le plus faux de tous les happy-end jamais écrits) et surtout cette capacité qu’il a eue de faire de Sara Forestier une vraie actrice de cinéma, la sortant de toutes ces daubes qu’elle a pu faire après l’Esquive. C’est elle son Jean-Pierre Léaud, son actrice fétiche, qui résume son cinéma à elle toute seule : par son énergie, par sa maladresse (d’un plan à l’autre, elle peut être géniale puis toute pourrie), par sa poésie, elle a une place tout à fait spéciale dans le cinéma français actuel.

Pour en savoir plus :

La vraie télé Bocal existe toujours et peut se voir sur leur site internet : http://www.telebocal.org/

L’émission de France 5 : ma vie d’artiste, a mis en ligne des featurettes sur le film

2 Messages de forum

  • Télé gaucho - Michel Leclerc - 2012 10 décembre 2012 20:41, par spread-is-wing

    Heu c’est quoi une grève de la fin ?
    Une grève de la faim je sais ce que c’est mais de la fin ?
    Peut être un scénariste qui refuse de faire une fin potable...

    La question que je me pose après avoir lu ta prose c’es pourquoi je me suis emm***** à monter un sujet sur Nanarland alors que tout ce que je pense de ce film est résumé ici ?
    Parce que parlé d’un film aussi étrange est bien difficile (je pense m’en être mieu tiré avec l’odyssée de Pi).
    En effet Sarah Forestier joue très bien les "fofoles" et l’affiche du film où elle apparait en bonne position tiendra une bonne place à coté de Audrey tautou et Vanessa Paradis (oui avec les points fidélités gagnés à la sueur de mon estomac je commande n’importe quoi).

    J’ai été complétement scié de voir apparaitre Adonis dans ce film, je l’avais entendu sur bide et Musique, je l’ai vu en vrai lors de la soirée des 10 ans de cette même web radio mais au grand jamais je n’aurai pensé qu’un réalisateur oserai faire apparaitre un tel personnage dans un film.
    Et c’est tant mieux car ça change des personnages de bobo qu’on voit dans des âneries comme Mauvaise Fille.

    Sinon je ne me rappelais pas que Maiween avait un moment d’émotion dans ce film c’est où déjà ? quand elle se dispute avec Jean Loup et que leur séparation est traitée en 2 minutes (là où un cinéaste aurait consacré tout un film au sujet) ?

    Et puis enfin n’a tu jamais songé à faire un débriefing des films que tu as vus ? Je serai curieux de savoir ce que tu as pensé d’un machin comme Un plan Parfait ?

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    • Télé gaucho - Michel Leclerc - 2012 11 décembre 2012 20:35, par Kevo42

      Une grève de la fin, c’est au choix une faute d’orthographe idiote, ou un jeu de mot Godardien génial. Je penche pour la deuxième alternative, parce que finir un film ainsi, c’est presqu’une grève de la fin.

      Nah.

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