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Que faut-il retenir de l’Eurovision 2014 ?

lundi 26 mai 2014, par Kevo42

Alors que la France a consacré le Front National comme parti principal aux élections européennes avec 25% des sièges, je vous propose de revenir sur l’Eurovision, parce que c’est quand même un peu plus léger.

Pourtant, on n’a pas beaucoup rigolé en cette année 2014, qui est encore celle de la crise et de la revendication. Triomphe des morceaux sérieux ou à message, mise à l’écart des fournisseurs de lol, et échec critique de Twin Twin : le fantabuleux blog vous explique tout sur les mystères de l’Eurovision.

L’Eurovision a l’opposé de ses stéréotypes : Loler n’est pas jouer

Il existe un vieux préjugé concernant l’Eurovision : celui des paillettes, du kitch, du n’importe quoi. La victoire de Conchita Wurst, drag-queen barbu, pourrait aller dans ce sens, mais elle s’inscrit en réalité dans une pensée somme toute logique : la compétition récompense la « meilleure » chanson.

Or quelle peut être la meilleure chanson de notre époque morose, faite d’inégalités sociales, de fusillade misogyne ou antisémite, de pays en ruines ? Un morceau plein de paillettes ou un morceau qui revendique ?

La chanson de Conchita Wurst avait tout pour plaire : mise en scène hyper spectaculaire, justesse de la voix, ampleur de l’arrangement, et en même temps symbole de lutte sociale. Mais elle ne doit pas cacher que, si on met de côté l’Ukraine et la Russie qui sont des cas géopolitiques un peu particuliers, les 11 premières places sont occupées par des morceaux pas franchement joyeux :

- Sobriété du morceau hollandais

- Power ballad pour la Suède, l’Arménie et l’Espagne (avec le même genre de final pyrotechnique)

- Mélange R’n’B Drum and bass pour la Hongrie mais un morceau qui parle de pédophilie, et un chanteur qui porte tout le malheur du monde sur ses sourcils.

- Norvégien plaintif et tatoué

- Boys band sobre et assez quelconque pour le Danemark (qui en plus bénéficie lui aussi d’un vote géopolitique assez favorable)

- Et enfin un clone de Coldplay pour la Finlande.

Ceci ne doit pas nous étonner pour deux raisons :

1 – L’air du temps. Si Ozymandias vivait à notre époque, je ne suis même pas sûr qu’il lancerait un parfum nommé Nostalgia, mais peut-être plutôt un nommé lente dépression, tant le sentiment d’injustice et d’impuissance est grand. Et dans ces conditions, difficile de voter pour des chansons joyeuses : la Grèce et son trampoline finit 20ème, les Islandais aux costumes colorés finissent 15ème, la Pologne qui a tant fait parler d’elle pour ses décolletés finit 14ème.

2 – Au delà de l’ambiance un peu plombée, ces choix témoignent d’un énorme conformisme des goûts musicaux. Et là, vous me direz : mais les gens n’écoutent-ils pas plutôt Rihanna, Drake et Kanye West ? Je répondrai : les sales jeunes peut-être, mais sont-ce les gens qui font l’effort de voter à l’Eurovision ? Quand je vois la programmation de l’Eurovision en général et les premières places en particulier, je pense que le profil du votant est quelqu’un qui écoute Chérie FM : de la belle musique, avec des gens qui chantent bien, et des belles lumières.

Et comme par hasard, n’est-ce pas à l’image de notre pays qui fait un triomphe à chaque album de Céline Dion et regarde en masse the Voice, cette émission où bon chanteur veut dire chanteur capable de mettre le plus de pathos dégueulasse dans sa voix ? (attention, je polémique grave).

Mais pour les spectateurs attentifs, la folie était tout de même là

De sorte qu’il y a à mon avis deux types de groupes : ceux qui sont là pour gagner la compétition, et ceux qui sont là pour le buzz. En 2010 gagnait Lena pour l’Allemagne et pas de doute, c’était très bien. Mais en 2010, on avait aussi la Moldavie, qui a terminé 22ème, mais dont personne n’a oublié la performance :

(pratiquement 9 millions de vues, quand même), grâce à ce pont joué au sax et devenu légendaire :

Sans parler des Jedwards, ces héros qui ont représenté l’Irlande deux fois (8ème et 19ème place), mais dont personne ne peut oublier l’excentricité :

Cette année encore, à côté de Conchita Wurst, qui a accompli la synthèse du sérieux et de l’excentrique, les grands gagnants des réseaux sociaux ont été les Polonaises avec leur lessive, les Grecs avec leur trampoline, le Roumain dans son synthé, l’Italie avec son armure d’or et son keytar.

Malheureusement, celui qui rit n’est pas celui qui vote, ce qui explique que ce que l’on aime le plus dans l’Eurovision, le grotesque, le kitch, le bizarre, n’a pas forcément réussi à passer le stade de la demi-finale.

Je vous laisse découvrir ce que vous avez raté en regardantles vidéos dans cet article, ou au moins les meilleurs gifs dans celui-là (oui je sais, je suis une pute à clic, pour reprendre le terme technique) , mais le symbole de cette disproportion bizarre / vote est sans doute le morceau Géorgien :

Alors que je vous ai dit que le secret pour gagner cette année était d’être le plus Chérie FM friendly, voilà un groupe qui a eu le courage du folk / jazz, avec percussionniste parachutiste, chorégraphie bizarre, solo de guitare acoustique et vocalises.

Mais oui.

Et ils ont fini dernier de leur demi-finale. Internet, si tu sers à quelque chose, fais que ce sacrifice ne soit pas vain.

Et Twin Twin dans tout ça

On s’est beaucoup moqué de la performance du groupe français Twin Twin lors de l’Eurovision. Mais après avoir lu ces pages, vous commencez à comprendre où se situe le vrai malaise. D’accord, on peut trouver le morceau naze, mais

1 – c’est toujours mieux que Jul (oui, ce n’est pas difficile)

2 – c’était pas forcément naze au point d’être derrière les grecs au trampoline (mais bon, ils avaient un trampoline)

3 – surtout, je trouve que le morceau rentre bien dans la tête quand on l’a écouté plusieurs fois.

Mais, quoi que l’on pense du morceau, sa présence à l’Eurovision est une erreur stratégique totale. Le malentendu commence dès la vidéo d’interview des candidats pré-eurovision où le groupe parle de mélange de french touch et de ghetto-pop, avec des influences de M.I.A., Santigold, et Diplo (à 1min41)

Peu importe que le morceau ressemble surtout à Papaoutai de Stromae comme l’a remarqué à peu près tout le monde, car cela fait partie du jeu du name dropping (je vous rappelle qu’à leur début, Linkin Park citait tranquillement Aphex Twin et Nine Inch Nails comme influence). Ce qui est important est que ce genre de référence est trop récente, et beaucoup trop tendance pour l’Eurovision, dont la plus grande audace permise est d’intégrer de la drum’n’bass. La reprise des codes vestimentaires d’un groupe type LMFAO ne fait qu’augmenter le fossé avec un public pas jeune du tout.

De plus le morceau était beaucoup trop joyeux et dansant, et en décalage thématique avec notre époque : alors que la crise est là, faire une chanson sur un mec plein de fric qui est malheureux parce qu’il n’a pas de moustache est doublement stupide :

1 – parce qu’une personne qui ne parle pas français va juste comprendre « All I wanted was a moustache » et cela pose plein de questions, hors contexte

2 – parce que même une personne qui parle français ne peut pas comprendre le texte car il est stupide. Dans le blues du millionnaire de Starmania, il y a une vraie opposition entre réussir sa vie professionnelle et être un artiste. Dans Moustache, on ne voit pas trop le problème entre être riche et avoir une moustache, cf. Tony Stark et Frédéric Thiriez. Alors imaginez l’enchaînement improbable pour les spectateurs étrangers : présentation de la Hongrie : « il s’agit d’une chanson sur la pédophilie », présentation de la France « Il s’agit d’une chanson sur le fait d’être riche mais de ne pas avoir de moustache ».

Sérieusement.

Malgré tout, l’opération n’a pas été entièrement négative pour le groupe : leur participation leur a offert une couverture médiatique inespérée. Ils sont non seulement passés sur toutes les télés et radios en interview, mais le clip de leur chanson a été vu 3 millions de fois sur youtube. Comme d’habitude, il vaut mieux une mauvaise publicité que l’indifférence.

Tout ceci pose la question de l’engagement de la France dans l’Eurovision. Cela fait des années que la France hésite quant à son positionnement concernant cette compétition. D’un côté elle ressasse ses échecs avec l’obstination d’un jeune homme prêt à se livrer à une tuerie de masse, d’un autre côté elle continue à se dire différente des autres.

Parce que oui, quand on est le seul pays à donner ses points dans sa langue quand tout le monde parle anglais, et quand on propose Twin Twin, Les Fatals Picards, ou I Muvrini, il y a un côté je ne suis pas comme vous qui peut énerver.

Alors, vous me direz peut-être : et Amandine Bourgeois l’année dernière, pourquoi a-t-elle fini dernière ? Était-ce si différent de ce que les Hollandais ont proposé ? La question est délicate, mais je crois que son absence de show a dû jouer contre elle, et surtout le morceau est trop dur : il faut du pathos, oui, mais pas du pathos rock avec des guitares : du pathos mou avec des violons.

Surtout, il faut bien constater une chose : aucun point n’est donné à la France. Alors que beaucoup de pays peuvent compter sur le vote des voisins, la France, non. Ce qui amène systématiquement la dénonciation du copinage, mais devrait plutôt nous interroger : nous possédons des frontières avec l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, et l’Angleterre nous est reliée via le tunnel sous la manche, sans parler de la population de la communauté portugaise. Pourtant, ces gens ne votent pas pour nous, et nous ne votons pas pour eux. Je trouve très important le fait que nous n’attirons aucune sympathie a priori, et cela doit nous rendre tous très modestes.

J’extrapole peut-être, mais je trouve que cela donne une bonne représentation de notre place dans l’Europe. D’un côté, le pays est qualifié d’office dans la compétition et ne laisse pas indifférent, mais d’un autre côté, il veut être différent, meilleur que les autres, qui ne le comprennent pas. Pour moi, envoyer Twin Twin a l’Eurovision, correspond au même état d’esprit qui fait dire à Jean-Luc Mélanchon que si la France voulait vraiment changer la manière de concevoir l’Euro, son poids serait tel que les autres suivraient. Et bien, en fait, peut-être pas. Peut-être que les autres nous regarderaient juste en disant : « you mad, bro ? » comme ils l’ont fait lors de l’Eurovision, et comme ils le font certainement ce soir avec notre FN à 25% (un quart des votes exprimés, la folie pure), qui me remplit de désespoir.

Nous avons eu sur ces dernières années deux tentatives « sérieuses » : Natasha St Pier, 4ème en 2001, et Patricia Kaas, 8ème en 2009. Même si je n’ai personnellement aucune sympathie pour ce type de musique, pourquoi ne pas en proposer régulièrement, si c’est ce pourquoi les gens votent ?

France, arrête d’être ironique, arrête d’être festive, arrête d’être fière. France, les gens veulent du Chérie FM, du Marc Lévy, du Céline Dion, et si l’on regarde les ventes de disque française, c’est ce que la France aime aussi. Alors donne-leur, et gagne !

Pour en savoir plus :

Les vidéos et les premières analyses

L’Eurovision en Gif animés

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