Le fantabuleux blog de Kevo42

Parano

lundi 10 janvier 2011, par Kevo42

J’ai proposé cette chronique sur nanarland. Comme je vais certainement la retravailler pour qu’elle soit plus publiable, cette retranscription sera bientôt collector.

Le cinéma français, dans ses recoins les plus obscurs, est une drogue. Hier encore, le jeune Kobal témoignait de la déchéance provoquée par des comédies frelatées. Frappé par cette critique, j’étais obligé de faire un retour sur moi-même. N’étais-je pas moi aussi touché par un mal étrange ? Y avait-il un point commun entre les films que j’avais chroniqué ou vu récemment ?

L’horrible vérité m’apparut aussitôt : oui j’aime la philosophie nanarde, j’aime les sous Alain-Robbe Grillet, les George Bataille et Fontaine, la psychologie de bazar. Je suis capable de regarder Acteurs porno en analyse jusqu’au bout, et de me dire que l’utilisation d’une citation d’Alain dans ce contexte est ma foi un peu exagérée.

Pourquoi vous parler de cela ? Pour vous préparer à la chronique d’un film qui ne s’adressera pas à tous les nanardeurs, qui ne contient aucune maquette, et aucun zombie, mais un Jean-Pierre Léaud en grande forme. Ce film a été découvert par les fous de Psychovision, et c’est une bonne chose car le film est pour le moins psychovisuel, un film par delà le bien et le mal.

Ce film c’est Parano.

Un film d’auteur : écrit, produit, réalisé par un homme, Bernard Dubois. On sait peu de choses sur lui, et pourtant sa trajectoire est fascinante. Si on suit sa fiche IMDB, on y voit un homme qui a débuté dans l’écume de la nouvelle vague par un premier film autobiographique avec déjà Jean-Pierre Léaud (les lolos de Lola), et en 1984 une participation à l’anthologie Paris vu par... 20 ans après. Et puis, peu à peu, c’est la chute : d’abord des séries jeunesse (Lycée Alpin, les Intrépides), pour finir dans le glauque : Sous le soleil et Manatea, les perles du Pacifique. On a là un homme, parti pour reprendre le flambeau de Jean Eustache, et qui finit en suppôt d’Adeline Blondieau.

Merci, Bernard.

On a envie de dire mais pourquoi, pourquoiii ? Et puis un jour on finit par voir le seul de ses films visible, ce Parano, et on comprend, tout d’un coup, la raison. Parano, c’est du lourd. Du très lourd.

Parano est un film de fous, réalisé par un fou, avec des fous, pour des fous.

« Il me traite de folle... Bah ça c’est fort. Moi je suis folle, et lui il a toute sa raison ! »

On pourrait en raconter l’histoire très simplement, et elle n’aurait presque rien de ridicule : une femme, rendue folle par son quotidien, tue homme et enfant, s’enfuit, arrive dans une ville indéterminée, tombe amoureuse d’un homme, avec le danger constant de péter à nouveau les plombs. Filmée par Lodge Kerrigan, une telle histoire glacerait le sang. Filmée par Bernard Dubois elle fait rire.

Mais laissez-moi vous présenter les héros de ce drame.

Rencontrez Maria (ou Carole ou Mimi, comme le dit si bien son pyschiatre) : son enfant joue au ballon dehors avec son papa ? Bordel, ça va pas le bruit ! Paf, vas-y qu’elle sors sa carabine et t’explose la tête de ce beau monde. Un autostoppeur l’ennuie avec son blabla ? Attends qu’il aille pisser qu’elle le décapite avec sa voiture ! La personne qui l’héberge lui reproche de lui voler ses sous-vêtements ? Paf elle la tue à coup de couteau ou tronçonneuse, on sait pas trop, la range dans le placard, et menace Jean-Pierre Léaud de l’accuser du crime, parce que « les juges croiront pas qu’une femme puisse faire ça, ça peut pas être possible ».

Oui, bah si on peut même plus décapiter un mec avec sa bagnole...

La parole à la défense : « Et comme à l’école quand on fait le poirier, le sang m’est monté à la tête et j’ai frappé. » Logique.

La minute éducative de nanarland : aujourd’hui, dimanche en famille :

La fille joue au ballon

Papa joue de la guitare

Puis joue avec sa fille. Pendant ce temps...

... Maman prend son fusil, comme pour chasser un animal du diable...

... et met de l’ordre dans cette famille.

L’avis de l’expert (Jerry Blake, aka le beau-père)

Je n’aurais pas fait mieux

Rencontrez aussi Ignacio (le seul l’unique, le vrai Jean-Pierre Léaud, sur lequel nous reviendrons plus tard).

« Je m’appelle Ignacio, c’est d’origine espagnole. Mon nom de famille c’est Jamai, on ne dirait pas que c’est espagnol et pourtant ça l’est aussi, c’est une déviation de Jamaica »

- Hé tchic tchic »


Jamai, ça vient de Jamaica : tchic tchic
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Ignacio a 30 ans, et ne fait rien de sa vie. Enfin si, il traîne chez son pote le garagiste, sur le tableau noir duquel il écrit des équations très compliquées. Car Ignatio est un très grand mathématicien. On ne le verra pratiquement jamais travailler à sa thèse (à un moment il tape avec beaucoup d’inspiration sur un ordinateur) , mais tout le monde s’accorde pour dire qu’il en sait plus que bien des professeurs.

D’ailleurs il a l’enthousiasme communicatif. Ne veut-il pas apprendre les mathématiques à Maria ?

« Tu verras, je te ferai sauter à pieds joints sur les mathématiques, tu te passionneras pour la théorie de l’ambiguïté »

IMG/mp3/je_t_aime_et_je_te_ferai_aimer_les_mathematiques.mp3

Il y a aussi le père d’Ignacio, un historien qui a écrit un livre très reconnu (un best-seller comme l’articule si bien Léaud), qui devenu fou, vit reclus dans une cabane de jardin, et ne communique plus que par interphone.

L’avis d’Ignacio

« Ce qui m’inquiète le plus dans la maladie de mon père, c’est que je sens qu’il est d’une lucidité exceptionnelle sur les problèmes de la vie... le poids de son existence l’accable (chouine) il doit se lever tous les jours avec lui-même et il est dans un désespoir trop verbeux pour que ce soit un voeu de mort. »

En gros, le père passe son temps à débiter des conneries avec la voix de Michael Lonsdale (et si ça se trouve c’est lui, le réalisateur n’a pas tenu bon de nous informer de qui le jouait).

« Hier je me suis remis au boulot, et j’ai vomi sur mon olivetti.... »

Si on ajoute à ça les amis de Jean-Pierre Léaud aux accents divers et variés (Martin a un accent incertain, entre espagnol et allemand, Cecilia un accent italien, et la serveuse a un accent anglais), on tient une belle brochette de winners.

Maria, la classe faite femme

On a dit plus haut que l’histoire, racontée simplement pourrait être le scénario d’un slasher tout à fait solide. Mais ce n’est pas le but de Bernard Dubois. Lui veut nous raconter une histoire de folie(s) et d’anarchie, une réflexion puissante sur l’amour et les mathématiques, une tragédie solaire et pluricommunautaire, bref un film total.

Mais à vouloir tout faire, le film ne réussit qu’à nous perdre. D’un côté, la structure est claire : le psychiatre d’une criminelle raconte en voix-off, les faits qui l’ont amenée là. D’un autre côté, les choses ne sont pas si simples, à tel point qu’on ne saura même pas dans quelle ville se passe l’action. Rome ? Un port de plaisance près de Rome ? Ailleurs en Italie ? Si l’histoire se passe en Italie, qu’y font ces personnages ?

Léaud essaie de comprendre l’histoire

De même, si l’histoire est racontée par le psychiatre, pourquoi y-a-t-il autant de développements sur les relations tumultueuses entre Jean-Pierre Léaud, la bonne et son père ?

D’ailleurs, y-a-t-il seulement une chose qui fasse sens dans ce film ? Un universitaire qui s’enferme dans une cabane de jardin après avoir écrit un best-seller ? Jean-Pierre Léaud qui refuse de dénoncer la folle, mais va élaborer un plan incroyablement grotesque pour la faire partir ? Un meilleur ami qui ne s’inquiète pas du tout de la disparition subite d’une femme qu’il voyait jusque là tous les jours ? Pourquoi tout cela ?

Mais préfère s’enfuir au final

On a donc des personnages fous, dans une histoire folle. Mais on a aussi des dialogues de fous, joués par des fous.

Quelques exemples de choses que vous entendrez dans ce film :

IMG/mp3/tu_peux_pas_raconter_des_choses_normales.mp3
IMG/mp3/medicament.mp3

De ce point de vue, si tout le monde est plus ou moins à côté de la plaque, débitant des conneries pseudo-philosophiques au kilomètre, Jean-Pierre Léaud écrase la distribution de son aura légendaire.

Il fait même des cascades époustouflantes

Léaud a toujours été cabotin, a toujours eu un jeu extrêmement particulier, provoquant l’admiration ou la répulsion. Dans un certain contexte, il peut être exceptionnel : la maman et la putain, les films de Truffaut sont des chef-d’œuvre, on ne dira rien contre cela. Mais là, le voir réfléchir 5 minutes pour demander la liste des courses, le voir tournoyer dans son jardin quand il parle avec son père, ou même quand il tient son chien en laisse, est une épreuve qui donne à penser que le vrai fou à interner dans l’histoire, c’est lui.

Premier exemple :


Jean-Pierre Léaud parle à une porte
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Deuxième exemple


Jean Pierre Léaud lit la liste des courses
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Présent dans presque toutes les scènes, il est un alchimiste, transformant un mauvais film en nanar transcendantal. Merci à lui.

Jean-Pierre Léaud : le seul, l’unique

Voilà, ma confession est pour l’heure terminée. Mais je ne me repens pas. Au contraire, j’espère que vous aurez maintenant envie de voir Parano, et j’espère que les autres film de Bernard Dubois referont un jour surface, pour que je puisse recommencer autant de fois que je le voudrai.

Pavé technique :

Note 3/5 : le film propose constamment des surprises, jusqu’à sa conclusion complètement absurde. Pour les fans de Jean-Pierre Léaud, c’est un must à ne pas rater.

Réalisateur : Bernard Dubois Pays : France Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Agathe Vannier, Lou Castel, Joe D’Allessandro

Genre : Parananar (à défaut de mieux), catégorie : expérimental

Cote de rareté : Rare : le film est sorti en vhs, chez VIP éditions il me semble, mais il est devenu si rare qu’il en est pratiquement introuvable.

1 Message

  • Parano 5 juillet 2012 21:57, par semia

    bonjour je suis une grande fan de jean pierre leaud, dans ces bons films comme ds les mauvais, d ailleurs j ai vu les lolos de lolas qui m a fait mourir de rire tellement c mal filmé mais en meme temps je trouve que jean pierre leaud releve la qualité du film car il a un jeu extraordinaire
    j aimerais beaucoup voir parano mais je ne le trouve nulle part, pouvez vous m’indiquer comment/ou vous l’avez visionné ? merci !!
    ps : by the way votre chronique de Parano est trop marrante, du coup j ai encore plus envie de voir le film et de voir comme leaud s en sort dans celui la

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