De quoi ça parle ?
Jean Dujardin est un agent secret Russe, aussi étonnant que cela puisse paraître (lui-même en a l’air étonné). Il dirige une équipe chargée de recruter une tradeuse impitoyable, jouée par Cecile de France, exilée des Etats-Unis pour avoir coulé la banque Lehman Brothers, un jour où elle était un peu trop impulsive. Pourquoi ? Parce qu’elle travaille pour un milliardaire Russe (Tim Roth), dont la puissance fait de l’ombre à Moscou. Tout irait bien si elle ne travaillait pas déjà pour la C.I.A. (représentée notamment par un troublant clone d’Eric Cantona et par un ancien acteur de the Wire).
C’est un film d’espionnage dans le monde de la finance.
Un échec complet
Möbius est un accident industriel. Pourtant, bien qu’étant un film horrible à tous les niveaux, il porte pleinement la personnalité de son réalisateur : sa vision du film d’espionnage, des rapports entre puissances étrangères, sa vision des relations hommes - femmes. A en croire les interviews de promotion, Eric Rochant a sué sang et eau pendant 5 ans pour faire de ce film un chef d’oeuvre ultime. Malheureusement, le résultat misérable marque le cruel fossé entre les intentions et la réalisation.
Peut-être en est-il de ce film comme de la pièce dont Bergman parle dans ses mémoires. En effet, alors que tant de ses films s’étaient crées dans la tourmente, cette pièce avait été répétée dans un bonheur parfait, chacun étant persuadé de contribuer à la création d’un chef d’oeuvre. Dès la première, les critiques épouvantables ont fait comprendre à Bergman la dure réalité : sa mise en scène était nulle. Deux semaines plus tard, la pièce était retirée de l’affiche.
Heureusement pour Eric Rochant, la critique est relativement bonne, et le public plutôt au rendez-vous. Et pourtant...
Un film d’espion sans tension
Un film d’espion peut être composé de quatre ingrédients, plus ou moins représentés selon les films.
- Il peut privilégier l’action, comme dans les James Bond
- Il peut privilégier la tension, le suspense, comme la série des Mission : impossible, où chaque plan peut échouer à la dernière minute. De Palma l’a bien compris en réalisant deux scènes de grande tension dans son adaptation : l’introduction du film, et le casse de Langley.
- Il peut privilégier le style, pour que même si l’on se perd dans l’intrigue, on reste accroché par l’image, comme ce fut le cas dans la Taupe.
- Enfin, il peut privilégier l’aspect politique fiction, comme dans les films adaptés de Tom Clancy.
Möbius est un film qui ne possède aucun de ses ingrédients.
Il n’y a pas d’action : la seule bagarre dure trente seconde, et peut être vue dans la bande annonce.
Il n’y a pas de tension : si Jean Dujardin joue un jeu dangereux, ses collègues et les gardes du corps de l’homme d’affaire Russe sont si incompétents qu’on ne le sent jamais en danger. De même, le fait d’éventer le twist dès les premières minutes, n’est pas le meilleur moyen pour surprendre le spectateur.
Il n’y a pas de style : le film empile les scènes sans rythme tournées dans des décors impersonnels au chic creux. Tout est trop long dans ce film. Pour vous donner une idée, un banal plan de transition d’un hélicoptère se posant sur un bateau nécessite de passer quatre fois d’un plan large à un plan serré, sans qu’on puisse comparer le rythme du montage à celui de Michael Bay.
Il n’y a pas de politique : je n’ai honnêtement pas compris pourquoi les russes voulaient embêter Tim Roth, jusqu’à ce qu’une image de Vladimir Poutine située presqu’à la fin du film, me rappelle que oui, il ne fait pas bon être trop puissant et indépendant en Russie.
Möbius n’est donc pas à proprement parler un film d’espionnage. Peut-être est-ce alors un drame romantique ?
Une histoire sentimentale ultra plate
Eric Rochant tente de mêler à son film d’espionnage une romance tragique. Problème, rien ne fonctionne dans cette histoire.
Dès la scène de séduction, on est gêné. Les échanges de regards, les dialogues faussement maladroits, tout ceci est très bien en théorie, mais en pratique, tout sonne faux.
- Le décor, sorte de bar discothèque pour gangsters Russes, aussi décadent que les orgies suisses d’Asterix en Helvetie. Les héros le quitteront pour un lieu intitulé l’Apocalypse, où l’on écoute, pas trop fort, du Arcade Fire, malgré une enseigne écrite dans la même typographie que le bureau de Dante dans Devil may cry.
- La scène est trop longue : au dixième regard de Dujardin, on plaint Cecile de France d’être harcelée par cet homme lourd, au lieu de la sentir succomber sous son charme.
- Les dialogues sont mauvais : les acteurs jouent en articulant chaque syllabe d’un texte anti-naturel.
Bref, c’est nul. Même les scènes de sexe ne fonctionnent pas : on comprend bien l’intention de filmer des scènes d’amour douces menant à des orgasmes troublants, mais le résultat est froid et légèrement risible. A voir Cecile de France trembler sous l’intensité de son plaisir, chevauchant lentement un Jean Dujardin pratiquement passif, on songe à la scène culte de Dancing machine, en sérieux et donc ennuyeux.
Dancing Machine - Alain Delon en transe par teneox
Et alors, c’est bien ?
Möbius est un film raté à tous les niveaux. Ni palpitant, ni beau, ni profond, ni même involontairement drôle, il ne provoque que l’ennui et l’exaspération. Pour cette raison, je vous invite à le voir si vous possédez une carte illimitée : il est si mauvais que le premier film que vous verrez par la suite vous paraîtra être un vibrant chef d’œuvre. De quoi restaurer votre foi dans le Dieu cinéma.