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Les bêtes du Sud sauvage - Benh Zeitlin

mardi 1er janvier 2013, par Kevo42

Caméra d’or au festival de Cannes, grand prix du jury à Sundance, plus de 4 étoiles au baromètre presse allociné, plus de 7 de moyenne sur IMDB, les Bêtes du Sud Sauvage est ce qu’on appelle un film plébiscité par la presse. Parfois, un tel emballement cache de lourds secrets, voire un coup carrément foireux. On se souvient récemment de Holy Motors, qualifié de chef d’oeuvre un peu partout, mais qui, malgré certaines qualités, était néanmoins un film très nombriliste et lourd symboliquement, en plus d’être assez faussement riche.

Autant dire que je me méfiais, et que la vision réelle du film n’a ni confirmé mes craintes, ni ne les a balayées, et je vais vous expliquer pourquoi.

De quoi ça parle ?

Hushpuppy est, non pas un groupe de rock, mais une petite fille. Elevée par un père alcoolique dans une communauté de marginaux vivant dans le bayou de Louisiane, elle vit une vie tranquille bercée par un rapport poétique, voire mystique à la nature et au souvenir de sa mère disparue.

C’est un film indépendant et poétique.

Un film hors cadre

En tant que critique, même amateur, on a tendance à juger un film par rapport à ses goût personnels, pour commencer, et par rapport à des critères qu’on espère être, sinon objectifs, au moins potentiellement universalisables. Dans ce cadre, il est relativement facile de parler d’un film de genre, et par film de genre, je vise large. Ce peut-être aussi bien le film d’action, que le film d’adolescent mutique pauvre dans un univers qui ne le comprend pas. A partir du moment où on a des points de référence, on peut agir.

La force des bêtes du sud sauvage qui est aussi mon souci, est qu’il ne rentre pas vraiment dans une case. Cette caractéristique est sans doute ce qui a autant plu à la critique : contraints de tout voir, tous les jours, tous ces films formatés pour plaire à tel ou tel public, ils ont senti une fraîcheur à voir un film qui se veut radicalement autre. D’autant plus que lorsque les cadres formels sautent, le critique est rendu à son instinct, et nul ne sait s’il peut le suivre. Si je dis que je n’ai pas aimé le film, mais que dans 30 ans, celui-ci est considéré comme un chef d’œuvre, on va se moquer de moi pour des générations et des générations. Résultat des films comme Holy Motors ou Tree of life ont été accueilli de manière extrêmement favorables, au cas où.

Evidemment, c’est une manière cynique de voir les choses, j’espère sincèrement que la presse est sortie de la salle enchantée, disant, c’est un chef d’oeuvre !

Mais moi, comme dirait (à peu près) Spinoza, je ne m’enthousiasme pas, je ne blâme pas, je comprends. Et donc je vais vous dire exactement à quoi vous attendre, pour que vous sachiez si ce film va vous plaire ou pas.

La beauté des laids, des laids, se voit sans délai, délai.

Les personnages des Bêtes du Sud Sauvage sont à l’extrême de la précarité. Pour commencer ils vivent dans une région pauvre des Etats-Unis, la Louisiane et ses bayous, ses inondations. Ensuite, ils sont exclus parmi les pauvres, ayant posés leurs maisons aux constructions non orthodoxes sur des terrains inondables. Dans cette petite communauté, on trouve des alcooliques, des vieillards, une institutrice poissonnière porteuse de la sagesse populaire, des freaks et des enfants. Autant dire qu’on a affaire là à une sacrée bande de bras cassés, et qu’on est dans un environnement plus proche des films d’Harmony Korine (Gummo, Trash Humpers), que de Treme.

Dans cet environnement à faire couler la sueur froide d’une assistante sociale de la DDASS, grandit une petite fille, qui est l’héroïne de ce conte. L’idée du film est là : faire raconter le film par cette petite fille, voire le monde à travers ses yeux, dépourvus de cadres sociaux préfabriqués. Cette vision est d’autant plus poétique qu’on parle d’une petite fille élevée en dehors de l’école, par un père à moitié fou dans une communauté dont le rapport au monde est plus d’ordre mythique que scientifique.

Autant dire que des considérations sur les dinosaures, la pluie, et les crevettes, vous allez en bouffer , assaisonnées d’images poétiques.

De manière intéressante, comme dans Gummo de Korine, le récit de Hushpuppy est de l’ordre de la légende locale : venez écouter l’histoire de la petite fille qui faisait face aux éléments (feu, eau, principalement), une histoire qui sera figée pour les siècles et les siècles. Si les personnages nous paraissent être exclus, eux-mêmes ne se considèrent pas ainsi. Ils ont fait le choix de quitter notre mauvaise civilisation et ne se sont pas retournés. Pour l’enfant élevé dans ce contexte, tout est merveilleux, même un bordel perdu au milieu d’un lac semble être un château de conte de fées.

Max et l’arbre de la vie

Du point de vue de la réalisation, les Bêtes du Sud Sauvage se trouvent quelque part entre Max et les Maximonstres et the tree of life.

L’emprunt le plus lourd est du côté de Malick : soin extrême apporté à l’exploitation de la lumière naturelle, voix-off omniprésente, cadres originaux et flottants. Mais on peut aussi trouver une vraie parenté avec le film de Spike Jonze : récit centré sur un enfant, créatures fantastiques, rapport à la perte d’un parent, et musique de film indé, quelque part entre Beirut et une fanfare zydeco.

Autant dire que si vous cherchez un cinéma narratif, ou même sociologique façon David Simon, vous pouvez passer votre chemin. Les bêtes du Sud Sauvage est un film qui cherche à vous faire perdre vos repères narratifs pour vous rattraper par des impressions sensorielles. Un film que l’on ne comprendrait pas, mais que l’on sentirait.

Et alors, est-ce que c’est bien ?

Tout dépend si vous vous laissez porter par le rythme indolent de la pluie qui emporte tout. Dans ce cas, vous allez vivre une belle expérience, poétique et immersive. Soit vous ne vous laissez pas prendre, et vous trouver que tout sonne faux dans ce récit qui s’ingénie constamment à vouloir paraître génial alors qu’il raconte une toute petite histoire à laquelle on ne croie pas du tout. Dernière solution, vous faîtes comme moi : vous regardez ça d’un œil analytique un peu torve (j’ai un peu dormi au milieu), avec un ennui poli, vous réjouissant que le film s’arrête au moment où vous commenciez vraiment à trouver le temps long.

Bonus rajouté le 14 janvier

Le film a finalement reçu pas mal de nominations aux Oscars, effet Sundance oblige, dont une pour la jeune actrice, que je ne comprends pas complètement (un effet Ponette ?)

Par contre, ça a donné l’occasion à la distributrice du film en France (Michèle Halberstadt) de remporter le prix Rose Bosch de la mauvaise foi dans une interview donnée au site de Premiere cette semaine (et me demandez pas comment je me suis retrouvé à lire ce site tout pourri, je ne le sais plus moi-même)

On a aussi beaucoup compté sur les réseaux sociaux et sur la presse. Vous avez tous été géniaux quand même, à part quelques ronchons ! Je ferai un jour bouffer son papier au journaliste du Monde qui a dit que « le film était déplaisant ». Pour moi, ce n’est pas recevable, c’est du racisme.

Bon, dans l’article en question, qui est plutôt élogieux, le journaliste dit :

Version contemporaine du Radeau de la Méduse, de Géricault, Les Bêtes du Sud sauvage déploie un lyrisme romantique qui fait jouer, en caméra portée et en gros plans, des visions d’apocalypse dignes de la démesure biblique (bêtes monstrueuses libérées des glaces et fondant sur le monde), des prises documentaires exaltant la beauté sinistrée du bayou, des scènes pathétiques qui exaltent la capacité de résistance et la dignité humaines dont sont susceptibles de faire preuve les damnés de la terre.

Le propos comme la manière sont donc extrêmement ambitieux, et le film, qui éblouit trop souvent, manque sur la durée des moyens de se porter à une telle hauteur.

Les faiblesses du récit, la maladresse de certaines scènes, l’incarnation parfois déficiente des personnages accusent l’ostentation d’un geste de mise en scène qui confine au maniérisme. Un sentiment un peu déplaisant s’agissant d’un tel sujet.

Il est où le racisme là-dedans ?

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