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Jolies ténèbres - Kerascoët et Fabien Vehlmann

samedi 7 décembre 2013, par Kevo42

Jolies ténèbres n’est ni l’oeuvre la plus récente du duo de dessinateurs Kerascoët ou du scénariste Fabien Vehlmann, ni peut-être la plus connue, mais sa découverte, 4 ans après sa sortie, est pour moi une grosse baffe. Alors, il faut en parler.

De quoi ça parle ?

Dans une clairière, des êtres minuscules apparaissent, près du corps de ce qui pourrait être une poupée très réaliste ou un véritable cadavre de petite fille. Parmi eux, Aurore va tenter d’organiser la communauté, mais les dangers sont nombreux, et les morts violentes.

Jolies …

Le duo de dessinateurs Kerascoët s’est fait connaître par son travail sur deux séries : Miss Pas Touche, et Beauté. Deux séries qui charment immédiatement par leur dessin très doux, au service d’histoires parfois cruelles.

Dans Jolies ténèbres, on est immédiatement séduit par un dessin de conte de fées. Il y a une héroïne qui semble tout droit sortir du Alice au pays des merveilles version Disney, mais avec de grands yeux expressifs de shojo manga, des petits êtres mignons, des couleurs vives, la nature. On y trouve même de petits animaux de la forêt. Jolies ténèbres est une bande dessinée qui crie le mot « Kawaï ! » au lecteur.

Et pourtant.

Dès les premières pages, où l’on voit un dîner entre l’héroïne et son prince charmant se muter en une sorte d’accouchement morbide, le décor fondant pour les amener au dehors, on sait que le pire nous attend. Surtout, cette figure de petite fille, dessinée elle de manière hyper réaliste, nous plonge d’emblée dans le malaise : comme si les Schtroumpfs avaient décidé de bâtir leur village en plein cœur d’une scène de crime.

Pourtant, aussi sombre que soient ces présages, rien ne nous prépare à l’horreur que nous allons lire.

… Ténèbres.

Jolies ténèbres est peut-être l’oeuvre que j’ai ressentie comme la plus traumatisante depuis le film Battle Royale de Fukasaku. Pourquoi ? Parce qu’elle nous renvoie à la cruauté infinie des rapports humains.

Nous avons là une petite communauté, qui comme les naufragés de Lost, va devoir s’approprier son nouvel environnement. Les dangers sont en partie extérieurs : tous les animaux, mêmes les plus petits rongeurs, peuvent les dévorer ou les mutiler. Un petit être réfugié dans un nid se verra ainsi ravager la bouche par un oiseau voulant lui proposer la béquée.

Les dangers sont surtout intérieurs. L’héroïne, avec son âme de princesse, cherche à organiser la communauté, mais on suit aussi de nombreux personnages qui n’ont pas tous des noms, mais ont des caractéristiques très marquées : il y a la jeune femme indépendante qui se protège avec une paire de ciseaux, une fille plus grande que toutes les autres qui va progressivement imposer sa loi, le prince et le majordome qui vont se rallier petit à petit à la force, trois demoiselles aux mouvements identiques, ou encore Timothée dont la frange cache la moitié du visage.

Cette communauté vit selon des règles très fortes qui semblent préexister à leur apparition dans ce monde, mais le passage dans ce nouvel environnement remet tout en cause.

Ainsi, tous ces personnages si mignons et polis, vont peu à peu se déchaîner les uns contre les autres dans des actes de cruauté qui feraient presque peur à Jigsaw. Pourtant, en théorie, tout devrait aller bien : la nature est paisible, on dispose d’assez de nourriture. Mais en pratique, le nombre de morts augmente peu à peu. La raison en est que tous ces charmants petits êtres n’ont aucun rapport affectif les uns aux autres, et n’ont ni peine à voir les autres mourir, ni de scrupule à s’en débarrasser. Sans trop vous raconter, je dirai juste qu’une scène particulière mettant en scène une trousse m’a glacé le sang. Le tout est rendu encore plus troublant par le fait qu’à aucun moment le récit ne tente de moraliser l’action des personnages. Il n’y a pas de récompense pour les vertueux, pas de punition pour les méchants, juste des actes absurdes au milieu d’une nature indifférente.

Et alors, c’est bien ?

Oui, c’est vraiment excellent. Jolies ténèbres, c’est un peu comme Innocence de Lucile Hadzihalilovic dans lequel il se passerait quelque chose, c’est un peu comme une histoire de Junji Ito adaptée par un illustrateur jeunesse, c’est un peu comme Hobbes raconté par Disney. Surtout, c’est une histoire qui nous rappelle à quel point les contes de fées sont cruels en leurs cœurs.

Jolies ténèbres est une histoire qui va vous déchirer, qui va vous faire réfléchir, et surtout qui va vous troubler. Un songe qu’on croyait être un rêve et qui se révèle un cauchemar.

Pour en savoir plus :

Vous pouvez lire les neuf premières pages ici : http://www.bdgest.com/preview-512-BD-jolies-tenebres-recit-complet.html

Le blog des Kerascoët : http://www.kerascoet.fr/

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