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Alabama Monroe - Felix Van Groeningen

dimanche 1er septembre 2013, par Kevo42

Alabama Monroe est le nouveau film du réalisateur de la merditude des choses, un film qui a marqué tous les gens qui l’ont vu. Il ne serait pas étonnant que la situation se renouvelle, tant ce Alabama Monroe est une merveille d’émotion, un film brutal et sincère, comme on va le voir ci-dessous.

Didier vit dans une maison à retaper à la campagne avec des chevaux et des vaches, et chante du bluegrass. Elise est tatoueuse. Ils ont une fille, Maybelle, qui a un cancer. Et c’est pas facile.

Qu’est-ce qu’un film bien réalisé ?

Quand je fais mes commentaires dans les sorties de la semaine, j’ai toujours peur d’une chose : que l’on pense que, pour moi, un film bien réalisé est un film qui en met plein la vue, comme par exemple Pacific Rim. Or, ce n’est pas du tout le cas.

Ce que je cherche dans un film, c’est non seulement une forme qui réponde à un fond, ce qui ne veut pas dire grand chose, mais surtout :

1 – que l’écriture d’un film exploite tout le potentiel de son sujet : ce qui implique, qu’il n’y ait pas de raccourcis étranges ou d’actions illogiques (bonjour Elysium !), que j’aie l’impression d’avoir fait le tour de la question à la fin (par exemple, quand je vois l’enfant d’en haut, j’ai l’impression de n’avoir rien vu alors que le sujet aurait pu être très intéressant), et si possible que le sujet me touche d’une certaine façon (j’y reviendrai, mais Jimmy P, le nouveau Desplechin, m’est resté complètement extérieur).

2 – que la mise en scène ne se mette pas en travers du scénario. Pas besoin d’une mise en scène à la Kubrick, mais si on peut sortir de la caméra à l’épaule avec lumière naturelle moche, tant mieux. Et je n’ai rien contre aucun genre de cinéma. Par exemple, j’ai aimé le début de l’inconnu du lac (et puis après on se rend compte que le film ne raconte pas grand chose, que l’intrigue policière est une direction peu intéressante, et puis on finit par connaître les deux décors du film, et on se lasse).

Tout ça pour arriver à Alabama Monroe, The broken circle breakdown en V.O., qui est un film qui m’a complètement cueilli, alors que je ne l’attendais pas du tout.

Ce nouveau film du réalisateur de La merditude des choses, tiré d’une pièce de théâtre écrite par l’acteur qui joue Didier dans le film, et l’actrice qui jouait Elise au théâtre, réussit tout ce que La guerre est déclarée ratait.

Ecriture : La guerre est déclarée s’arrêtait au moment où le film commençait réellement. Le film aurait plutôt dû s’appeler : nous allons déclarer la guerre. Parce que le traitement de l’enfant en question, sa durée, l’usure du couple, tout cela ne nous est montré qu’en ellipse, avec une conclusion assez kitsch au bord de la mer, comme si tout ceci n’avait été qu’un vilain cauchemar dont il fallait vite se réveiller.

Alabama Monroe au contraire met la maladie de l’enfant au centre : c’est ça le sujet : sa souffrance et celle des parents. Le traitement n’est pas chronologique : comme dans Blue Valentine, le passé heureux n’est vu qu’au travers du drame à suivre, avant que les deux ne se répondent en passant régulièrement de l’un à l’autre. Alors, oui, on peut trouver ça racoleur, parce que cela impliquerait que le bonheur passé porte les germes des difficultés à venir. Mais cependant, je ne le crois pas, car Alabama Monroe est aussi bien un film de souffrance qu’un film d’amour d’une très grande force.

Réalisation : les choix de réalisation sont plus des effets de structure que des effets de réalisation. Il y a peu de mouvements ou de plans très élaborés, et les moments les plus stylés (notamment le dénouement) ne sont pas mes moments préférés. Alabama Monroe n’a rien à voir avec Trainspotting ou Fight Club. C’est un film très simple dans ce qu’il montre. Mais il a deux idées très intelligentes.

- La première, j’en ai déjà parlé, c’est cette structure qui confronte constamment le passé et le présent. Cette structure est intéressante car elle est très différente de celle de la pièce, qui pour ce que j’en ai compris, était constituée de deux monologues, celui de Didier, et celui d’Elise, qui avait lieu après les événements, et se faisait uniquement en flashback. De plus, elle fixe les enjeux notamment dans sa deuxième partie, où la question devient : comment en est-on arrivé là ?

- La deuxième, est la mise en avant du bluegrass dans le film. Personnellement, je n’ai aucun attrait particulier pour le bluegrass, qui est une musique que je ne connais pas bien et que je n’ai pas très envie de connaître.

Mais la musique est au cœur du film : tout d’abord parce qu’elle est un marqueur de l’évolution du couple : la façon dont Elise va découvrir Didier, rejoindre son groupe, etc. Une belle scène l’illustre : Elise commence à chanter dans la maison avec Didier, puis la chanson se continue au coin du feu avec le groupe au complet, avant de s’achever sur scène. Une scène de montage assez classique mais narrativement très efficace et élégante. Ensuite parce qu’elle marque les ambiguïtés des personnages : Elise a des convictions un peu new-age, Didier est un athée militant, mais tous les deux chantent le bluegrass qui est considéré comme le gospel pour les blancs : une musique religieuse très simple et pure, à l’opposée d’un conservatisme religieux que Didier vit comme une source d’injustice.

La dernière scène, absolument bouleversante, résume tous ces enjeux.

Le titre original du film, the broken circle breakdown, fait d’ailleurs référence à un morceau pas inconnu des joueurs de Bioshock infinite. Cependant, je m’abstiendrai bien de l’analyser ici pour ne pas spoiler le film.

Remarquez dans cette vidéo que Johnny Cash a l’air complètement à l’ouest, et qu’il porte des bottes sur un costard, ce qui, aux dernières nouvelles n’était toujours pas autorisé par la fashion police

Globalement, le film ne fait pas d’esbrouffe (enfin, à mon goût), et va toujours à l’essentiel : le couple Didier, Elise, et leur fille Maybelle. Il va sans dire que tous les acteurs sont juste parfaits.

Des personnages formidables

Alabama Monroe est un film très riche. Il n’est pas juste l’histoire de la lutte contre la maladie mais une belle histoire d’amour.

Le carburant de cette histoire, ce sont des personnages qui, vous l’avez compris, sont très riches. Souvent, par exemple dans les films de Rebecca Zlotowski, les personnages sont réduits à des clichés : exemple dans Grand central : des gitans qui écoutent du Seth Gueko et tricotent leur robe de mariage. Ils sont pittoresques, mais n’ont aucune épaisseur.

Ici, les personnages existent sous tellement de niveaux, ont tellement de contradictions, d’aspirations, leurs dialogues sonnent vrais. Et ni leur milieu social, ni leur apparence ne les définit. On peut être tatoué et jouer avec son enfant à la maternité, et être un parent formidable, et ne pas être asocial. On peut être athée, et ne pas savoir quoi dire à sa fille qui pleure un pigeon mort. Johan Heldenberg explique que le film est né au départ de sa peur du fanachisme actuel (cf. pour les germanistes cette interview ) mais le film n’est jamais un film à thèse, parce qu’aucun personnage n’a raison, que chaque action a ses conséquences, et que, comme le disait si bien Julie Zenatti, la vie fait tout ce qu’elle veut, le pire, et le mieux.

Honnêtement, cela fait du bien de voir un film où on peut croire aux personnages et être heureux, et triste, avec eux.

Et alors c’est bien ?

Alabama Monroe est un film à ne pas rater. Il pose une question très simple : un couple peut-il résister à la maladie de son enfant ? Mais cette question se double d’une autre question : qu’est-ce qui fait fonctionner un couple ? comment il se forme ? comment il se maintient ? Et ces questions sont intéressantes parce que le film n’est jamais théorique : l’écriture fait que l’on est constamment projeté dans l’intrigue, dans le drame, et l’on a envie de savoir ce qui va arriver. On tient à eux.

Un des films marquants de cette année.

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