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2016 : 10 bandes dessinées de gens qui parlent

lundi 16 janvier 2017, par Kevo42

Deuxième et dernière partie de cette rétrospective de l’année, avec dix bandes dessinées de gens qui parlent. Ils ne font pas que parler d’ailleurs : ils boivent, changent de corps, se perdent dans la forêt, font pousser des fleurs, attendent une invasion extraterrestre, glandent sur internet ou reprennent le flambeau familial. Bref, et pour reprendre le titre de l’œuvre de Thomas Cadène et Grégory Mardon : la vraie vie.

Une sélection très diverse en genres et en publics, qui le serait encore plus si on l’étendait aux quelques autres titres rajoutés en bonus. J’ai choisi là-aussi de ne pas distinguer bande dessinée jeunesse et adulte : tout ce qui émeut, instruit ou amuse est à découvrir.

Là encore enfin, ce top est le reflet de mes lectures. Le marché est pléthorique en terme de titres de qualité et ce qui fait le malheur des auteurs fait le bonheur des lecteurs.

Bonnes lectures.

1 - Dans l’intimité de Marie de Shuzo Oshimi

Alors que le premier volume des Fleurs du mal du même auteur vient de paraître, il n’est pas possible d’entamer ce bilan 2016 sans évoquer le chef d’œuvre de Shuzo Oshimi. Un mot fort mais qui n’est pas galvaudé ici tant ce manga paru chez Akata est de ceux qui vous retournent le cerveau.

Komori, étudiant raté vivant dans son studio jonché de poubelle, stalke Marie une lycéenne qu’il idéalise. Problème, il se réveille dans sa peau un beau matin. Comme nous ne sommes pas dans Your Name, il ne s’agit pas d’un simple échange de corps : l’âme de Marie a bel et bien disparu, tandis que le Komori classique, lui, continue d’exister à côté. Il va partir avec Yori, une camarade de classe de Marie, à la recherche de l’âme de celle qui n’est plus qu’un corps.

Dans l’intimité de Marie fonctionne à plusieurs niveaux : polar surnaturel lynchien, chronique de l’ultra-moderne solitude, histoire d’amour déviante et surtout réflexion sur l’image que l’on a de soi et la difficulté à s’accepter. On est surtout épaté par la capacité de l’auteur à nous faire traverser des émotions contradictoires et fortes dans ce manga où rebondissement rime avec bouleversant.

A découvrir absolument.

2 - Whiskey à New York / Julia Wertz

Le premier tome des aventures de Julia Wertz avait d’abord été publié en 2011 chez Altercomics, et était un peu passé inaperçu, il faut bien l’avouer.

Suite à la publication de l’Attente infinie l’année dernière, l’Agrume a décidé de republier l’œuvre autobiographique de la dessinatrice du New Yorker.

Les deux volumes se complètent tout à fait. L’attente infinie nous racontait la jeunesse, la maladie puis la lutte contre l’alcool de la dessinatrice. Whiskey à New York nous raconte le passage de San Francisco à New York, les galères d’appartement, les boulots dans les bars, la pauvreté, l’alcool, le frère suicidaire, et toutes ces joyeusetés.

Tout ceci paraît atroce, et pourtant Whiskey à New York est fondamentalement drôle. Cousine spirituelle de Daria Morgendorfer, Julia Wertz promène son mauvais esprit dans des courtes scènes de vie où la lose est élevée au rang d’œuvre d’art. Si la bande dessinée autobiographique est un genre installé, on a rarement eu une telle impression de proximité avec l’auteur, qui semble ne rien nous cacher. Cette mise à nue peut se révéler très émouvante quand la bohème que l’on a apprise à aimer au fil des pages est appréhendée soudainement comme ce qu’elle est vraiment : une bonne vie de merde qu’il serait temps de prendre en main.

Vous aimez Matt Groening, Bojack Horseman et les chansons de Fiona Apple ? Alors Julia Wertz est votre nouvelle meilleure amie.

3 - La vraie vie / Thomas Cadène et Grégory Mardon

Enfin un top de fin d’année avec la nouvelle bande dessinée de Thomas Cadène !

La vraie vie est le récit intime et ambitieux de ce que vivre aujourd’hui veut dire. Internet et les réseaux sociaux y jouent un rôle important, non pas comme un objet placé là pour situer l’histoire dans le temps, mais simplement parce que nous vivons sur internet et sur les réseaux sociaux.

L’histoire tourne autour des strates de la vie du héros. Il y a son travail, son histoire d’amour, l’amitié mystérieuse nouée grâce à Chatroulette, ou cet ami de FPS avec qui il discute de tout et de rien. Toutes ces histoires coexistent et interfèrent les unes avec les autres de manière organique.

Thomas Cadène est quelqu’un qui a un très bon compte twitter. Il n’est donc pas étonnant qu’il réussisse si bien à rendre cette manière de vivre. Il est aussi un excellent scénariste comme le prouve la deuxième partie, d’une grande émotion sans tomber dans le mélodrame. La vraie classe.

4 – Chiisakobé / Minetaro Mochizuki

J’ai déjà dit ici tout le bien que je pensais de la série qui, au moment où j’écris, fait partie des 10 finalistes pour le fauve d’or d’Angoulême.

Et alors vous me direz : si c’est bien, pourquoi seulement 4ème ? Déjà, d’un, on s’en moque un peu des classements, tout ceci n’est qu’un prétexte. De deux, n’est-il pas fantabuleux qu’il existe tant de bandes dessinées aussi différentes et brillantes dans ce monde ? Enfin de trois, j’avoue que le côté très Japon traditionnel dans sa manière de dépeindre les relations homme / femme me gêne un tout petit peu aux entournures.

Cela n’empêche ce manga d’être d’une beauté et d’une subtilité remarquable.

5 – Sandman Ouverture / Neil Gaiman, J.H. Wiliiams III

Lancée à l’occasion des 25 ans de la série, Sandman ouverture est à la fois une introduction et une conclusion de la saga. Ce volume nous raconte les événements qui ont conduit à la capture du Rêve dans le premier volume, et préfigure ce qui en suit.

Comme toute prequel, Sandman ouverture s’expose à une multitude de risques : expliciter des choses que l’on avait déjà très bien comprises, multiplier le fan-service ou proposer des nouvelles péripéties contradictoires avec ce qui existait déjà.

La bonne surprise est de voir à quel point l’histoire s’intègre bien dans le corpus. Sandman est devenu au fil des volumes un univers de plus en plus cohérent, et les caméos du Corinthien ou de Hettie la dingue ne gênent pas. Les ajouts sont intéressants : on y croise le père et la mère des Infinis, acteurs d’un récit qui est à la fois celui de la création et de la fin du monde.

Le dessin de J.H. Williams III en met plein la vue. Loin de faire dans la sobriété, il mélange comics et art nouveau, déstructure la mise en page avec comme mission d’en mettre plein la vue. Un dessin aussi impressionnant que parfois fatigant. De manière générale, il s’agit de l’histoire la plus épique du Sandman, chargé d’empêcher la destruction du monde qu’il a involontairement provoquée. Le scénario très ambitieux de Neil Gaiman nous emmène de surprise en surprise et de genres en genres. Un chapitre peut rendre un très bel hommage à Moebius comme un autre nous emmener sur une arche de Noë onirique.

Sandman Ouverture n’est pas nécessairement la meilleure histoire de la série. On peut lui reprocher certains éléments qui font un peu trop coup de coude au lecteur pour être honnêtes (le personnage d’Espoir et son impact sur Rêve, la solution trouvée pour résoudre le problème), critiquer le manque de retenue du dessin de J.H. Williams III ou ne pas retrouver l’intensité et l’émotion des meilleurs épisodes. Pour autant, il s’agit d’une addition postérieure qui non seulement n’est pas honteuse, mais apporte vraiment quelque chose d’intelligent et de beau. N’est-ce pas déjà très bien ?

6 – Dead Dead Demon’s Dededede destruction / Inio Asano

Il est très compliqué de parler dès à présent de Dead Dead Demon’s Dededede destruction car seul le premier volume est déjà sorti en France. Pour autant, je ne pouvais attendre l’année prochaine, car lire Inio Asano est un geste presque militant en France. Il y a donc un pari à faire, et si l’on en croit Meloku, l’ultime défenseur de l’auteur de Bonne nuit Punpun, la suite ne devrait pas nous décevoir.

Alors que les extraterrestres attaquent (mollement) le Japon, les héroïnes de DDDD attendent désespéramment que quelque chose se passe.Commencé pendant la publication de la fille de la plage, DDDD est un excellent point de départ pour découvrir l’univers décalé et un peu dépressif d’Inio Asano.

Comme Bonne nuit Punpun, DDDD met l’imaginaire au service du quotidien. Cependant, si les personnages de Bonne nuit Punpun cherchaient à transcender une morne vie, les héroïnes de DDDD s’accrochent au quotidien pour surmonter un monde devenu fou.

En cela, DDDD s’annonce comme une œuvre de science-fiction très originale, où l’humanité refuse même de prendre en considération l’invasion en train de se produire.

7 - Dédale de Takamichi

Deux jeunes femmes se réveillent dans un immeuble inconnu. En l’explorant, elles se rendent compte qu’il est situé au milieu de nulle part, complètement vide, et n’obéit pas aux règles classiques de la physique. Heureusement, nos deux héroïnes sont beta-testeuses de jeux vidéo. Elles ont l’habitude d’apprendre de nouvelles règles et de chercher les bugs capables de les contourner.

Série complète en 2 tomes, Dédale est une très bonne surprise. Histoire volontairement courte, ce manga joue sur une première bonne idée qu’il va enrichir petit à petit. Si le titre est un peu théorique dans son approche du récit, les héroïnes sont suffisamment incarnées pour ne pas le limiter à son dispositif.

Une série qui donne envie de découvrir les œuvres futures de ce dessinateur.

8 – Martha & Alan / Emmanuel Guibert, d’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope

Après nous avoir parlé de la guerre de son ami Alan Ingram Cope, Emmanuel Guibert s’intéresse avec cet album à un épisode de sa jeunesse : l’amitié avec une jeune fille prénommée Martha qui avec l’âge s’est transformée en un amour qui n’a pas abouti.

Comme dans un album jeunesse, Emmanuel Guibert illustre les propos de son ami américain par des illustrations pleine page. Le récit fonctionne ainsi à l’économie, mais de sa simplicité apparente naît une grande émotion. Des petits événements, une lettre maladroite, toute une vie résumée en quelques dessins. L’album "ne passons pas à côté des choses simples" de l’année.

9 - Temps des mitaines vol. 2, Anne Montel et Loïc Clément

Quelle étrange série que le temps des mitaines ! Le premier volume était une sorte de whodunit où des enfants animaux anthropomorphes dotés de pouvoir élucidaient une affaire d’enlèvements. Le deuxième volume poursuit assez peu cette veine policière, pour s’adonner à une étude de caractère surprenante. Suite aux aventures du premier tome, le héros a pris la grosse tête. Il se montre désagréable avec les responsables de l’exploitation horticole où il fait son stage de découverte professionnelle ainsi qu’avec ses amis, qui s’éloignent petit à petit de lui. Il va falloir qu’il se ressaisisse !

Deux choses surprennent dans ce tome : non seulement il parle de relations interpersonnelles plutôt complexes pour une histoire d’animaux mignons aux couleurs pastels, mais il contient une remise en question du système agricole, explication didactique et détaillée de la crise des petits producteurs à la clé.

Et moi, je dis qu’une bd qui explique aux plus jeunes qu’il faut traiter ses amis et surtout les femmes avec respect, qui milite pour l’agriculture de proximité, et qui en plus est trop choupie mérite bien d’être dans le top 10 de l’année.

10 - Dans la forêt sombre et mystérieuse / Winshluss

On termine avec la bande dessinée jeunesse de Winshluss. Figure des Requins marteaux et créateur de Monsieur Ferraille, on sait que l’univers des contes de fées le hante depuis longtemps. On connaît bien sûr eu sa réinterprétation de Pinocchio, fauve d’or en 2009. On a vu aussi son exposition Un monde merveilleux où la sorcière attirait Hänsel et Gretel grâce à une maison en MacDo.

Toute la question était : allait-il perdre en agressivité en s’adressant à un public jeune ? Le résultat est presque un miracle : si l’histoire s’adresse vraiment à un public jeune sans dépasser les limites de ce qui est montrable, elle reste bien trash et bien idiote dans ses péripéties. Avec ses créatures moches, son héros boutonneux et sa forêt magique miteuse Dans la forêt sombre et mystérieuse se permet même d’aborder quelques sujets sensibles, comme la mort d’un parent proche ou la transsexualité. Surtout, le titre épate par sa patte graphique, avec des moments d’expressivité dignes des meilleures planches de Gotlib.

Le cadeau idéal pour vos enfants.

Lus et je vous les recommande aussi :

- Culottées de Pénélope Bagieu

- Shangri-La de Mathieu Bablet

- L’odeur des garçons affamés de Frederik Peeters et Loo Hui Phang

- Monsieur désire ? de Virginie Augustin et Hubert

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