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2015 : 10 bandes dessinées de gens qui parlent

dimanche 10 janvier 2016, par Kevo42

On continue dans notre rétrospective 2015 avec 10 bandes dessinées de gens qui parlent. Moins d’explosions, mais au choix des histoires avec une forte densité psychologique ou beaucoup d’humour. Comme pour le premier article, je ne sépare pas bande dessinée jeunesse et bande dessinée adulte, parce que je pars du principe que si c’est bien, c’est bien.

Enfin, comme pour le premier article, cette retrospective témoigne tout autant des mes goûts que de ce que j’ai eu l’occasion de lire. Il serait donc intéressant d’y revenir l’année prochaine pour avoir un autre regard. Par exemple, je n’ai lu que 2 bandes dessinées faisant partie de la compétition officielle d’Angoulême. Reste un avantage, celui de mettre en avant des titres pas forcément mis en avant partout.

Bonnes lectures !

1 - The ancient magus Bride – Kore Yamazaki

La présence de ce titre en tête de ce top est à la fois une "récompense" et un pari. Récompense car, Jojo mis à part, il s’agit de la série qui m’a donné le plus de plaisir cette année, et pari car j’espère qu’elle restera une bande dessinée de gens qui parlent plutôt qu’une bande dessinée de gens qui se battent.

Car qu’est-ce que The Ancient magus bride ? La rencontre entre une jeune femme suicidaire au pouvoir magique latent puissant et d’un sorcier mystérieux sous tous rapports. Toute la force de ces premiers volumes est de prendre le temps de présenter un univers pas follement original (on y croise entre autres des fées dont Titania et Obéron, des dragons islandais, des succubes), mais enchanteur et surtout porteur de mélancolie.

Avec son héroïne dépressive qui doit apprendre à vivre, ses dragon qui se cachent pour mourir, sa vampire fantôme qui se retient de mordre celui qu’elle aime, son monstre né de la volonté de ressusciter sa femme, The Ancient magus bride est un hymne à la fragilité de l’existence.

C’est aussi une histoire d’amour atypique qui prend le temps de s’installer entre une héroïne plus forte qu’elle ne le croit et un sorcier effrayant avec son crâne de chien et ses cornes de bouc.

Tout ceci fait de The Ancient magus bride une série riche en promesse. On espère que l’énorme succès qu’elle rencontre au Japon n’en changera pas la tonalité pour la changer en un énième shonen d’exorcisme de gros monstre à coup de pouvoir.

2 - Demokratia – Motoro Mase

Dans La République, Platon voulait examiner l’âme humaine en la modélisant sous la forme d’une cité. Si l’âme se dirigeait comme une cité, comment la formerait-on, comment prendrait-elle les bonnes décisions ?

Dans Demokratia, Motoro Mase pose la question inverse : si une cité était une personne, comment agirait-elle ? En laissant diriger un androïde par une centaine de personnes, il pose la question du choix partagé, du bien commun, du respect de l’opinion de l’autre, et des conséquences des choix.

Demokratia fonctionne à deux niveaux : sur un plan intellectuel, la série est extrêmement stimulante, car rien n’y est facile. Toutes les objections de lecteur habitué à scruter les erreurs de scénario sont adressées, toutes les conséquences des choix explorées.

Sur un plan émotionnel, la série est, comme Ikigami, la série la plus connue de Motoro Mase, extrêmement forte, à la fois parce que Mai l’androïde va être confrontée à des situations difficiles, et à la fois parce que les actions de Mai et les débats qu’elles font naître vont avoir des répercussions très nettes sur les participants de l’expérience Demokratia, trouvant dans leur vie des échos importants.

Demokratia est une oeuvre dont on ouvre les volumes avec une certaine crainte, car on on sait que l’on n’en sortira pas indemne, et qu’on referme avec la satisfaction d’avoir lu quelque chose d’important.

3 - La fille de la plage - Inio Asano

2015 a été pour moi une année Inio Asano, que j’ai appris à connaître et à apprécier, notamment à cause du lobbying intensif de nostroblog. J’ai fait l’erreur de vouloir commencer par Bonne nuit Punpun qui m’a rebuté par son réalisme magique et son intensité trop forte. Ma porte d’entrée a été Solanin qui m’a bouleversé. Après avoir lu les recueils Le quartier de la lumière et La fin du monde, avant le lever du jour, j’étais convaincu d’avoir trouvé un auteur cher à mon cœur.

La fille de la plage est une nouvelle oeuvre forte dans le parcours du jeune auteur japonais. Prépublié parallèlement à Bonne nuit Punpun, il en est stylistiquement l’opposé. Là où Punpun est un roman d’apprentissage hyperstylisé, suivant un jeune héros se voyant en pingouin jusqu’à son âge adulte, La Fille de la plage est le récit très ramassé et cru d’une courte liaison entre deux collégiens, dont les relations se limitent presque exclusivement aux rapports sexuels qu’ils ont.

Alors qu’Asano est connu pour ses pavés de texte poétique insérés au milieu des cases, témoin de l’état d’esprit de ses personnages, La Fille de la plage est une tentative de se priver de cet artifice. Les relations complexes entre les différents personnages sont évoquées très finement, dans une situation presque Racinienne où chacun aime la mauvaise personne pour son malheur. Cependant, là où les tragédies de Racine se terminent le plus souvent dans un bain de sang, le temps joue ici son office salvateur : lorsqu’on est adolescent, on ne meurt pas par amour, on grandit.

4 - Les beaux étés – Jordi Lafebre, Benoît Zidrou

La couverture des Beaux étés fait franchement peur avec son sticker : "1973, l’année de la maladie d’amour". Après La Famille Bélier on craint de subir un nouvel exemple de Michel Sardou’sploitation, mais les beaux étés est un bel album.

Tout d’abord, le dessin est beau, à la fois réaliste et légèrement cartoon, très coloré et expressif. Ensuite, si la note d’intention de Zidrou, de type "Attention je vais vous parler de la vraie vie sans explosion ni sabre laser" a tendance à m’irriter, il faut avouer que c’est réussi et étonnamment subtil. On se prend de sympathie pour ce personnage de père dessinateur dont l’acharnement dans l’échec n’a fait que l’éloigner de sa famille, ainsi que pour les autres personnages qui ont tous quelque chose de vrai et de suffisamment unique pour donner le sentiment d’exister.

Enfin, sans vouloir en dévoiler trop, certains passages m’ont tiré une petite larme.

Une série à suivre avec attention donc.

5 - Bulles & Blues, Invisible – Stéphanie Rubini, Charlotte Bousquet

Les albums de Stéphanie Rubini et Charlotte Bousquet obéissent à un double projet : à la fois histoire forte en signification d’une adolescente, et exploration des relations au sein d’une classe.

Dans le premier sens, on peut les lire comme une sorte de Max et Lili pour adolescent : frère et sœur qui ne se comprennent plus dans Bulles & Blues, jeune fille timide qui a peur d’exister dans Invisible, les thèmes sont clairs mais les réponses pas simples : si des solutions sont évoquées, aucune ne peut seule résoudre les problèmes de la vie, et ce n’est qu’en se laissant le temps que l’on peut soigner les blessures de l’âme.

Dans le deuxième sens, la lecture des quatre volumes (après Rouge tagada et Mots rumeurs, mots cutters parus l’année dernière) se complète pour tisser un réseau de relations complexe, ou le héros de l’un peut aider ou pas celui de l’autre suivant qu’il a compris ou pas ce qu’il ressentait. Comme dans la vraie vie, on passe à côté des appels à l’aide des autres en ne voyant que ses propres soucis, à l’image de la conclusion implacable d’Invisible où le plus dramatique vient d’un personnage que l’on n’avait vu qu’en arrière plan des albums précédents.

Le grand attrait de ce cycle est aussi le dessin de Stéphanie Rubini, doux dans ses couleurs et ses traits, qui attire immédiatement l’œil. Une bande dessinée qui s’adresse naturellement à un public adolescent mais qui, en ne s’arrêtant pas à des leçons de vie toutes faites, rend hommage à la complexité de la vie.

6 - Le Grand méchant renard – Benjamin Renner (dessin et scénario)

Après Ernest & Célestine, Benjamin Renner était cette année de retour avec sa première bande dessinée, une nouvelle histoire d’amitié improbable, ici entre un renard et trois poussins qui voient en lui sa mère.

Si le fond n’a rien à voir, Le Grand méchant renard partage avec Kaïros le fait d’être une bande dessinée d’animateur. L’histoire est parfaitement calibrée pour être un scénario de cinéma, les cases détaillent minutieusement les mouvements, tandis que les décors restent assez rudimentaires.

Tout ceci est non seulement tout à fait mignon, mais en plus drôle, et pas bête du tout.

7 - Les variations d’Orsay – Manuele Fior

La collection des musées proposée par Futuropolis est un cadeau empoisonné pour ses auteurs, qui doivent réussir à construire une histoire tout en mettant en valeur le patrimoine muséal. Manuele Fior s’en tire plutôt bien, grâce à un graphisme magnifique, rencontre des peintures d’Orsay et de son style personnel.

Il tente aussi de briser le moule par diverses manières, pas toutes réussies. L’idée de faire parler des personnages du XIXème dans un langage du XXème est un gimmick amusant mais un peu inutile, la visite des coulisses par une gardienne changée en Eve du douanier Rousseau est assez gênante, mais la magie opère quand les thématiques de l’éloignement et de l’échec propres à l’auteur italien rejoignent les destins romantiques de peintres en lutte contre la société et contre eux-mêmes. Format réduit oblige, Fiore confronte dans des ellipses lourdes de sens l’orée et le déclin des vies des peintres ou de leurs modèles, pour un entre-deux lourd en spleen.

Une oeuvre mineure par rapport à 5 000 kilomètres par seconde ou l’Entrevue, mais une bonne introduction à l’oeuvre de Manuele Fior.

8 - Explicite, carnet de tournage – Olivier Milhaud et Clément Fabre

Olivier Milhaud, scénariste de BD jeunesse est appelé par un de ses amis pour jouer dans son nouveau film. Problème, l’ami en question s’appelle John B. Root, un des meilleurs réalisateurs de divertissement pour adulte, et même si le rôle en question est fait de dialogue et non d’action, le choix moral reste réel. Heureusement pour le lecteur, notre héros s’y rend, ce qui nous donne une petite chronique d’une semaine de vie dans un milieu inhabituel.

Si le dessin d’Explicite est tout à fait charmant, cette bande dessinée brille clairement plus par son scénario et par son aspect reportage. Plutôt que de décrire l’action en train de se faire, l’auteur reste à la marge, auprès de la personne responsable des repas, des acteurs qui ne tournent pas et attendent leur tour ou passent le temps en tournant des scènes séparées. Loin des reportages à sensation, il donne une image douce amère d’un tel tournage : si le temps est au beau fixe et le cadre relativement protecteur, John B. Root étant un des rares réalisateurs à ne pas prendre ses actrices pour du bétail, les rapports humains peuvent être très tendus : acteurs pas à l’heure, rivalité entre actrices, engueulades avant de se réconcilier lors du barbecue du soir.

Au delà de l’aspect documentaire (d’autant plus intéressant quand on reconnaît les acteurs représentés), c’est cet aspect humain qui séduit dans Explicite.

9 - Asterix et le papyrus de César – Conrad (dessin) et Ferri (scénario)

A l’annonce de la reprise d’Asterix par Conrad et Ferri, on ne pouvait ressentir qu’un sentiment contradictoire pour eux : joie de les voir se faire confier un titre aussi populaire et prestigieux, appréhension face à la difficulté de la tâche qui s’annonçait.

Un bon album d’Asterix nécessite en effet deux choses

- D’un côté le respect de la tradition, tant en termes de charte graphique que de construction du scénario, qui puisse se poser dans la continuité de 56 ans d’histoire de la bande dessinée

- De l’autre la nécessité de faire sentir l’esprit du temps présent dans une intrigue située dans le passé.

Pour le respect de la tradition nous avons une histoire pleine de druides, de romains, de rivalité concernant l’autorité du village et de potion magique.

Pour la modernité, nous avons une intrigue qui part d’un point de vue historique (l’écriture de la guerre des gaules de César) pour aboutir à une réflexion contemporaine sur la manie des puissants à contrôler l’histoire et à la réécrire en leur faveur.

Il y a donc plusieurs niveaux de lecture :

- l’intrigue principale autour du papyrus et de la nécessité de le cacher

- des jeux de mots rigolos autour d’internet, avec un forfait pigeon voyageur illimité, ou le magnifique jeu de mot : pas de roseau, pas d’appel.

- un plaidoyer pour la liberté d’information et pour l’existence de moyens d’information parallèle

- et même une mise en abyme intéressante sur le rapport de l’histoire d’Asterix avec l’Histoire.

Tout ceci est amusant et intéressant, et dénote d’un très grand respect des auteurs pour le matériel. On peut tout de même lui faire le même reproche qu’au nouveau Star Wars : à force de tout calculer pour plaire aux fans et de vouloir rendre la transition invisible, on sent les auteurs encore un peu crispés. C’est une chose d’être Goscinny, une autre d’écrire quelque chose qui aurait pu être du Goscinny. On retient tout de même avant tout le point positif, celui d’avoir de nouveau hâte de lire les prochaines aventures des irréductibles Gaulois.

10 - Le rapport de Brodeck – Manu Larcenet

Que reste-t-il à atteindre à Manu Larcenet ? Après la consécration publique et critique de Blast, le voilà de retour avec l’adaptation du roman de Philippe Claudel. On pourrait craindre la notarisation de l’auteur de Bill Baroud, mais Le Rapport de Brodeck continue dans la voie austère qui semble à présent le caractériser. Dialogues rares, grandes cases, personnages massifs, noir et blanc tranché pour le style, panurgisme et shoah pour les thèmes, on ne rigole pas ici.

N’ayant pas lu le roman, j’attends de voir le deuxième et dernier volume pour voir où va l’oeuvre, si l’on reste dans quelque chose de très impressionnant mais un peu froid, où si l’oeuvre va finir par laisser une place au lecteur.

Une petite liste de titres que je n’ai pas encore lu mais que j’ai très envie de lire aussi :

Dad – Nob

Glenn Gould, une vie à contretemps -Sandrine Revel

A silent voice – Yoshitoki Oima

Ici – Richard McGuire

Le sculpteur – Scott Mc Cloud

Une tête bien vide – Gilbert Hernandez

Famille royale – Florent Ruppert, Jérôme Mulot

Paola Crusoe vol. 3 – Mathilde Domecq

Hilda – Luke Pearson

L’homme montagne – Amélie Fléchais (dessin), Séverine Gauthier (scénario)

Innocent – Shin’ichi Sakamoto

Inspecteur Kurokochi – Takashi Nagasaki, Koji Kono

La république du catch – Nicolas de Crécy

Catharsis – Luz

Lapins crétins 7 – Romain Pujol et Thitaume

L’arabe du futur 2 – Riad Sattouf

Corto Maltese 13 – Ruben Pellejero (dessinateur), Juan Diaz Canales (scénariste)

Les équinoxes – Cyril Pedrosa

California Dreamin’ – Pénélope Bagieu

Eloge de la nevrose en dix leçons – Leslie Plée

Le piano oriental – Zeina Abirached

Chicagoland – Fabrice Colin (dessinateur), Sacha Goerg (scénariste)

Carnet de santé foireuse – Pozla

Vieux fourneaux vol. 3 – Lupano et Cauuet

Communardes – Lupano (scénario), Anthony Jean, Lucy Mazel (dessinateurs)

Trashed – Derf Backderf

Tempête au haras – Jérémie Moreau d’après Christophe Donner

Chiisakobe – Minetaro Mochizuki

Des aventures pour les Vrais bonhommes – Les frères Guedin

Unlucky young men – Eiji Otsuka & Kamui Fujiwara

L’île Louvre - Florent Chavouet

Lu, mais laissé de côté parce que vous n’avez pas besoin de moi pour le lire :

Zaï Zaï Zaï Zaï - Fabcarro

Et enfin, mention spéciale pour le volume 4 du Journal de Julie intitulé Fantabuleuse.

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